jeudi 28 mars 2013

Tilda Swinton exposée en chair et en os au MoMA




 Par, Valérie Duponchelle
L'actrice oscarisée a fait samedi une performance surprise au Museum of Modern Art de New York. Portrait d'un personnage très «British» au charme tranchant.



On n'avait pas vu ça depuis Marina Abramovic et son record d'endurance,The Artist Is Present, pendant laquelle la reine de la performance a tenu tête à son public, sept heures par jour, six jours sur sept, pendant trois mois (750.000 personnes ont défilé en 2011 au MoMA pour la voir dans les yeux et dans l'Atrium).

De nouveau, voici une louve en offrande au public du grand musée d'art moderne de New York. Longue comme une tige, blonde comme les blés les plus nordiques, stylée comme un garçon, Tilda Swinton dort en princesse vénéneuse dans sa boîte de verre, un jour entier durant. Et devient un drôle d'objet d'art vivant exposé au musée, dans la limite des strictes heures d'ouverture. Un matelas, un oreiller plat, une cruche d'eau. L'actrice, en «casual wear» très chic, jean et chemise en chambray, a posé sagement ses lunettes à côté de son long corps recroquevillé en position fœtale. Action!

Les visiteurs du 11 West 53e Street,entre la Ve et la VIe Avenue, ont eu la surprise, samedi, de découvrir la White Witch de Narnia dans une cage, à côté des files d'attente de la billetterie, spectacle offert à leur bon plaisir. Cette surprise, très art contemporain, pourra se répéter encore une demi-douzaine de fois. Car le MoMA a précisé que Tilda Swinton reviendrait ainsi dormir au musée de façon inatttendue, en changeant l'emplacement de sa cage, de façon aléatoire, jusqu'à la fin de l'année 2013. Un bon moyen de stimuler la curiosité des foules, déjà fort denses, qui se précipiteront dans ce lieu pour surprendre sur l'oreiller cette oscarisée 2008 (meilleur second rôle féminin, après un Bafta, pour son personnage de Karen Crowder dans Michael Clayton) à la filmographie aussi longue qu'inédite. Cet elfe vole sans complexe du plus pur «art et essai» (terrifiante routarde brune dans Broken Flowers, de Jim Jarmusch en 2005) au divertissement pour tous les enfants de la planète (les trois volets de Narnia).

Reine de glace

The Maybe est un exemple spectaculaire - et inerte - de performance que le MoMA avait en tête de montrer depuis sept ans. Longtemps coiffé aussi blond platine que son égérie endormie, Klaus Biensenbach, conservateur en chef du MoMA, est déjà l'homme qui fit venir Marina, sphynge serbe à la longue robe rouge du sacrifice, dans ses murs synonymes du prestigieux Manhattan. Ce globe-trotteur de l'art a expliqué que les tractations furent intenses pour que cette reine de glace vienne à New York.

Connaisseur de la scène contemporaine, il voulait répéter The Maybe, ovni lancé à Londres à la Serpentine Gallery en 1995 par l'actrice, en collaboration avec l'artiste Cornelia Parker, et répétée depuis à Rome et Paris par l'actrice seule. En 2005, Katherine Mathilda Swinton (Tilda est son nom de guerre) tournait des scènes pour Sleepwalkers, installation de l'artiste californien Doug Aitken qui fut projetée en huit films sur les murs extérieurs du MoMA en 2007. Le chef d'orchestre de l'art contemporain au MoMA et la belle inclassable de nos nuits blanches discutèrent au pied de la caravane de tournage. Voilà, sept ans après, le résultat. Ils étaient tous les deux à la Biennale de Sharjah, où Tilda Swinton devait apparaître le mardi 14 au soir au côté du cinéaste Apichatpong Weerasethakul. En bonne star, elle a fait faux bond.

L'art du malaise est l'atout étrange de cette femme à la beauté déroutante et surnaturelle. Pas étonnant que David Bowie, ange du désordre, l'ait choisie pour épouse explosive dans The Stars (Are Out Tonight), le dernier clip de son album historique The Next Day.

Mystère un rien menaçant

Permanentée et raide comme une épouse laissée au salon, cette fille de militaire (Major-General Sir John Swinton, OBE, etc.) porte le petit cardigan pastel comme d'autres la mitraillette. Elle était bien sûr, la semaine dernière, au vernissage de l'exposition David Bowie Is, au Victoria & Albert Museum de Londres, posant en alien avec sa maigreur androgyne devant un portrait de son sosie masculin (est-ce bien le terme?) Ziggy Stardust, au plus délirant avec son soleil d'or peint sur son trop grand front. Cette Écossaise bien née, qui fréquenta la future princesse de Galles, lady Diana Spencer, à la West Heath Girls' School, a l'audace farouche des gens du Nord et des insulaires dressés à la prussienne dans les boarding schools.

Ses premiers pas dans le monde de l'art se firent par feu le cinéaste underground Derek Jarman (1942-1994), esprit subversif comme seule la Grande Ile les invente, pionnier militant de la planète gay. Devant son objectif sans tabous ni convenances, elle déploya son talent à double face, brouillant les genres masculin-féminin, les frontières bien-mal, les normes moral-amoral (infirmière face à Laurence Olivier dans War Requiem, en 1989). Depuis, elle n'a cessé de laisser flotter un suspense légèrement inquiétant dans les castings où elle se risque, gourou nymphomane et exterminatrice (La Plage, du «so British» Danny Boyle, en 2000), bourgeoise milanaise quittant son foyer pour son trop jeune amant le jour même des funérailles de son fils (Amore, de Luca Guadagnino en 2009), voire mère d'un ado tueur de masse (We Need to Talk About Kevin, de Lynne Ramsay en 2011).

Le fait que cette superbe créature de 52 ans partage sa vie entre son amour de toujours, John Byrne, largement son aîné, et l'artiste Sandro Kopp, largement son cadet, passionne les tabloïds anglais et accentue son mystère un rien menaçant. Icône des stars de la mode extrême Viktor & Rolf, qui firent défiler des mannequins littéralement clonés sur elle en 2003, Tilda Swinton concocte ses apparitions en déesse du style, à la fois intensément originale et toujours chic. Seule Joan Rivers, terreur de la Fashion Police sur la chaîne câblée américaine E!, déteste ce personnage trop étrange et la couvre de blagues assassines dès lors qu'elle pose un pied sur un tapis rouge.











Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire