samedi 9 mars 2013

Le trait toujours sûr



Mathurin Méheut au pays du homard bleu





<i>Les Grands Filets</i>, de Mathurin Méheut.
Les Grands Filets, de Mathurin Méheut.


Par : Eric Bietry-Rivierre


Au Musée de la marine, à Paris, l'artiste se révèle être bien plus qu'un chantre de la Bretagne bretonnante.

Paradoxe: le Musée de la marine présente un artiste qui, bien qu'ayant eu tout jeune «l'attraction de l'océan» au point de «peindre les pieds dans l'eau», fut beaucoup plus qu'un créateur de marines ou un encyclopédiste de la faune et de la flore aquatiques. Beaucoup plus aussi que son titre de «plus populaire des artistes bretons».
Guère intellectuel (il ne théorisa jamais son art, ignora Pont-Aven, le cubisme, l'abstraction) mais producteur étonnamment prolifique, Mathurin Méheut (1882-1958) ressemble sur les photos, jeune à Pierre Loti, âgé à un personnage tintinesque. Petite moustache, lunettes rondes cerclées et fume-cigarette.

             Foisonnantes natures mortes

Sous ces apparences, il barouda d'Amérique au Japon en passant par Hawaï, envoyé par son mécène le philanthrope Albert Kahn. Et, plus encore, exécuta mille et une commandes. Depuis son atelier parisien de la rue d'Alleray (XVe), il imaginait sans cesse décorations et illustrations. Pour des intérieurs de dizaines de transatlantiques (le Normandie) et de pétroliers, la plupart coulés pendant la guerre. Pour des bureaux et halls d'immeubles (à Pittsburgh, à Rennes) ou des demeures privées (dont celle de Kahn à Cap Martin).
Il puisait dans la manne de ses superbes croquis de coquillages, crustacés et poissons saisis sur le motif pour élaborer de foisonnantes natures mortes. Une seule de ces feuilles peut contenir vingt-huit attitudes différentes d'un escargot. Méheut reprenait aussi, bien sûr, les si pittoresques et tellement demandées scènes de pardons, de paludières à Guérande, de charpentiers dans les radoubs de Roscoff ou de son Lamballe natal (où son petit musée mériterait d'être cinq fois plus grand), de festou-noz ou de ravaudages de filets. Toutes avaient été vécues. Mais il savait aussi au besoin camper un fauve imaginaire dans une savane africaine, des éléphants de cette Inde qu'il regrettait de n'avoir jamais pu visiter, ou une horde de Vikings débarquant de leurs drakkars pour une peinture d'histoire.

             Le trait toujours sûr

Dans ce même esprit Art nouveau, Méheut a conçu des tapisseries pour les Gobelins, des vitraux, des affiches, des boîtes de sardines ou de parfums, des services de vaisselle pour les restaurants Prunier à Paris ou L'Huîtrière à Lille. On dîne toujours dans certaines de ses faïences cuites à Quimper ou à Sèvres. Autrement, ses encres aquarellées ont orné de beaux livres signés pêle-mêle Michelet, Chateaubriand, Genevoix ou Colette. En compagnie de cette dernière il adorait apprendre aux enfants à observer la vie grouillant secrètement «dans les flaques d'eau» (voir l'admirable édition de Regarde…).
Infatigable, le trait toujours sûr, la couleur franche et contrastée, Méheut dessinait, peignait mais aussi gravait, sculptait, enjolivait ses lettres: jusqu'à 1 400 pour un unique destinataire, de 1925 à sa mort! Et, quand il accompagnait les pêcheurs de Boulogne-sur-Mer à l'heure des premiers chalutiers industriels ou les poilus dans les tranchées, il réalisait de saisissants reportages sur leur quotidien. Certains ont été publiés dans L'Illustration. On compte ainsi 5 000 œuvres petites ou grandes, esquisses, détails ou compositions complexes et monumentales. La rétrospective du Musée de la marine, pourtant riche de 650 références classées par thèmes sur 1 000 m2, ne serait donc qu'un aperçu. Méheut aurait aisément tenu dans le Grand Palais. Ç'aurait d'ailleurs été mérité.
Jusqu'au 30 juin, au Musée national de la marine, Palais de Chaillot, Paris XVIe.
 www.musee-marine.fr














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