samedi 16 mars 2013

" La Cage " dans la tête de Giacometti



Dans la tête de Giacometti





«Alberto Giacometti. Espace, tête, figur» jusqu'au 9 juin au Musée de Grenoble.
«Alberto Giacometti. Espace,tête, figure jusqu'au 9 juin au Musée de Grenoble.


 Par, Antoine Bienvenu


À partir de La Cage, œuvre phare de l'artiste, le Musée de Grenoble met en évidence un processus créatif obsessionnel.


Soit un buste masculin et un nu féminin en pied, de taille égale. Le premier situé perpendiculairement et en retrait du second. Aucun regard ne se croise. Le tout se trouve placé dans une cage stylisée, sur un socle intégré rappelant une sellette de sculpteur, à hauteur d'adulte. Que signifie cette œuvre d'Alberto Giacometti (1901-1966), énigmatique comme un roman de Robbe-Grillet?
Avec l'appui de Véronique Wiesinger, directrice de la Fondation Alberto et Annette Giacometti, le Musée de Grenoble a mené l'enquête. Elle est passionnante. Elle permet d'entrer dans la tête de ce sculpteur et peintre, artiste majeur du XXe siècle. De comprendre, ou du moins d'appréhender au plus près, par l'objet, une démarche créative aussi cohérente et réfléchie qu'instinctive, éminemment intime et en même temps à portée universelle.
L'institution était toute désignée pour organiser cette exposition, puisqu'elle possède une des versions les plus abouties de La Cage. Un tirage de 1950. Il a été acquis en 1952 grâce à la clairvoyance de Jean Leymarie, directeur du musée de 1949 à 1955. Depuis, il demeure l'unique bronze rehaussé de peinture à l'huile par Giacometti présent dans les collections publiques françaises. «Il s'agit d'une œuvre pivot, affirme Véronique Wiesinger. Pour simplifier, nous sommes ici entre la production d'avant-guerre et celle de l'après-guerre. Entre la période surréaliste et celle où l'artiste va se concentrer plus purement sur les questions de représentation de l'espace et de la figure humaine.»
Le parcours est divisé en dix espaces blancs épurés. Ils détaillent les origines, la genèse, puis la descendance d'une composition obsessionnelle. Le thème de la cage est présent dès le début des années 1930. La Boule suspendue, cette métaphore de l'acte sexuel, objet immobile suggérant un mouvement perpétuel qui valut à Giacometti d'entrer dans le groupe surréaliste, est déjà placée à l'intérieur d'un volume cubique. Le masculin et le féminin se côtoient, se frottent mécaniquement en s'ignorant. Une profonde incommunicabilité règne, mise en évidence par le rapprochement dans un même espace. L'exposition souligne la constance du motif en rapprochant les premières photos de la Boule suspendue, celles de Brassaï en 1947, et une reprise en plâtre de 1965 qui accentue encore la symbolique.

            Il part d'une image mentale

En 1932-1933, pour illustrer l'ouvrage Les Pieds dans le plat d'un René Crevel tuberculeux, Giacometti s'inspire d'une cage thoracique et d'un squelette. Toujours l'être et le néant… Des dessins et des photos de Man Ray du Palais à 4 heures du matin, dont la maquette définitive de 1932, en bois, est restée auMoMA de New York, montrent, eux aussi, des os «encagés». Mais aussi une forme humaine. Celle-ci se précise nettement dans Le Nez dont le bronze de 1949 est un chef-d'œuvre d'expressivité et de grotesque terrifiant. Symptôme des désastres que vient de subir l'humanité et de la révolte existentialiste nouvelle, l'appendice de ce Pinocchio hurlant transperce pour la première fois le volume dans lequel il est censé tenir.
Suivent La Cage et ses versions successives, où Giacometti part d'une image mentale - celle d'une femme ouvrant les rideaux d'une chambre - pour aboutir à son chef-d'œuvre, via de multiples croquis, peintures à larges touches de camaïeux gris énergiques, figures de détails, fragments, essais de dispositions et de soclages. Ces formes grouillaient dans les différents ateliers jusqu'à en saturer les murs.
Des photographies des locaux légendaires de la rue Hippolyte-Maindron révèlent à quel point Giacometti se trouvait lui aussi placé dans une scène mi-ouverte mi-fermée, mi-protectrice mi-étouffante. À l'image d'un Bacon, ses créations l'entourent constamment. Dans les abondants reportages du Montparnosdésormais mondialement célèbre, il baigne heureux dans ses formes totémiques. On songe à Cézanne, l'artiste révéré, celui qui le premier a cassé le système de représentation perspective de l'espace en vigueur depuis la Renaissance.
Comme le peintre communiant dans l'atmosphère à mille facettes de la montagne Sainte-Victoire, il semble émerger de ses «grumeaux d'espace», selon l'expression de Sartre. Le voilà, solaire au milieu de son chaos, tel un dieu gréco-romain. En même temps, on le trouve mélancolique et l'on devine que ses anxieuses têtes noires, modelées, peintes ou fondues, sont aussi une forme d'autoportrait.
Dans les dernières salles, les fameux individus qui marchent, imaginés initialement pour le parvis de la Chase Manhattan Bank à New York, et en définitive installés à la Fondation Maeght de Saint-Paul-de-Vence, apparaissent sans cage. Délivrés? Mais peut-être est-ce le monde qui fait office de boîte, les enserrant, et nous avec. L'artiste semble alors avoir atteint son but, résumé par Sartre: dresser le portrait d'«un homme fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui». La définition de la modernité?
«Alberto Giacometti. Espace, tête, figure». jusqu'au 9 juin au Musée de Grenoble, 5, place de Lavalette, 38010 Grenoble Cedex 1. Catalogue ­Actes Sud-Musée de Grenoble-Fondation Alberto et Annette Giacometti, . www.museedegrenoble.fr













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