samedi 30 mars 2013

Boudin : prétextes pour saisir le temps, les nuages, l'humidité, les éclaircies.



Eugène Boudin en pleine lumière





<i>Scène de plage</i>, Eugène Boudin, 1869.
Scène de plage, Eugène Boudin, 1869. Crédits photo : Colección Carmen Thyssen-Bornemisza en depósito en el Museo Thyssen-Bornemisza, Madri


Le peintre savait capter toutes les nuances des ciels et des nuages. À (re)découvrir au Musée Jacquemart-André, à Paris.


Récemment, Monet a triomphé au Grand Palais et Manet à Orsay. Aujourd'hui vient le tour d'Eugène Boudin (1824-1898). Ce n'est pas trop tôt: la dernière rétrospective parisienne remonte à 1899. À travers une soixantaine de peintures, pastels et aquarelles choisis dans un fonds pléthorique (3600 huiles et près du double de feuilles!), le Musée Jacquemart-André rend justice à ce pionnier du plein air. La moitié de sa sélection n'a jamais été présentée en France. Pourquoi un si long silence envers celui que Corot surnommait le «roi des ciels» et que le commissaire Laurent Manœuvre qualifie d'«inventeur de la lumière fugitive»? Il entre mal dans la chronologie des écoles et des mouvements. Boudin a dix ans de moins que Courbet, le chantre du réalisme. Il a commencé à peindre plus de vingt ans avant les impressionnistes.
À son époque, on est soit romantique, soit académique. Or cet autodidacte ne s'intéresse ni aux châteaux néogothiques ou aux forêts enchantées, ni aux scènes mythologiques ou aux portraits d'apparat. Il préfère les bords de mer. Si possible vastes et naturels. Ses marines n'ont jamais l'ambition de celles de Vernet. Elles ne sont jamais grandioses. Ce sont plutôt des prétextes pour saisir le temps, les nuages, l'humidité, les éclaircies. Peu de tempêtes, à peine du gros temps quand, au soir de sa vie, la houle renverse ses chères cabines de plage. Plus que tout le Honfleurais aime la marée basse. Il y puise un art là où, comme disait Constable son prédécesseur anglais en air pur, «personne ne pense que cela vaille la peine d'aller le ramasser».
À mi-chemin entre Barbizon et les impressionnistes, Boudin a une manière bien particulière de saisir les beautés de la nature. Il s'y fond. Cela implique plus que l'observation ou le travail de la matière picturale pour elle-même. Il faut sentir, avoir l'impression. Il lâchera un jour ce mot mais personne ne s'en apercevra. Trop tôt.
Boudin admire les Corot et les Diaz. Il les voit travailler sur le motif. Mais pour eux la forêt et les chemins de Fontainebleau ne sont qu'un champ d'étude. Ils réalisent l'essentiel en atelier. Boudin, lui, demeure au dehors. Il a déjà copié les maîtres hollandais. Il a vu dans Watteau des scènes qui, peut-être, ne racontent rien de précis et se prêtent à toutes les énigmes. Il a mangé de la vache enragée avec Jongkind, Monet, Troyon et Van Marck. Une aquarelle à la ferme Saint-Siméon rappelle cette joyeuse époque de tous les possibles. Ils sont là ces traqueurs d'atmosphères changeantes de Normandie. Déjà, ils possèdent le secret des ombres claires et la liberté de touche.

              Inventaire météorologique

Deauville va bientôt devenir la station balnéaire du duc de Morny. Il y aurait matière à s'en faire l'hagiographe servile. Boudin fait mine d'en être. En réalité, il se tient à distance des groupes qui se forment sur le sable. Chroniqueur, certes, mais qui ne cède jamais à l'anecdote. Son Concert au casino (National Gallery of Art, Washington) où l'on ne reconnaît personne, ne sera pas compris. Trop d'évanescence, guère d'allusions mondaines. Sa vérité est autant avec un ânier, un enfant au ballon ou les pêcheuses de Berck. Ils fournissent les mêmes taches de couleurs qui saillent et ravivent son horizon que les ombrelles ou les robes à crinoline. Ils participent au scintillement gris argent du moment.
Règnent plutôt les nuages au-dessus d'une ligne d'horizon de plus en plus basse. Il est dommage que nombre des études de ciels «purs» - exécutées le nez en l'air, et qui subjuguèrent Baudelaire - soient restées au musée du Havre. Mais dans la majorité des huiles, ces travaux, qui frisent l'abstraction, déteignent. Mention spéciale à cet égard pour Marée basse à Saint-Vaast-la-Hougue de 1890, prêt de la collection mexicaine de Pérez Simón, aux strates brun vert des rochers couverts de varech sur une eau au chromatisme à peine plus sombre que le ciel. Le tableau est installé en majesté au cœur de la scénographie sablonneuse (sec ou humide) ou planches blanches de cabines de bain signée Hubert Le Gall.
Boudin va donc plus loin que ne le pensait Baudelaire. Au dos de ses études de ciels, contrairement à ce qu'il prétend, il ne note pas systématiquement la date, l'heure et le vent. Il ne s'est pas lancé dans un inventaire météorologique. Dommage pour le poète, Boudin ne sera pas le Friedrich d'un nouveau Goethe ou le Constable d'un autre Luke Howard (l'Anglais qui a inventé la classification des phénomènes nébuleux en cirrus, stratus et cumulus). Boudin ne développe qu'une appréhension instinctive du moment. Il n'est pas non plus «l'historien des formations d'alluvion, des flaques d'eau que laissent les grandes marées bien avant dans les terres», comme l'écrit Gustave Geffroy en 1883 à l'occasion de la première exposition personnelle de l'artiste, chez Durand-Ruel. Il n'en est que le greffier. Comme les groupes de badauds sur la plage, sa peinture et son temps semblent se dissoudre. Demeure un art délicat, aux tons si justes qu'on devine presque sans indication où l'on se trouve. Deauville n'est pas Portrieux, Bordeaux, Anvers, Rotterdam, Antibes, Villefranche ou Venise. Chaque nuage relève indiciblement du lieu. Du Finistère au Pas-de-Calais, de la Manche à la Méditerranée, Boudin savait humer toutes ces nuances d'iode. Quand bien même il fut à peine mousse, voilà un grand marin.











Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire