dimanche 28 juillet 2013

Le véritable envol d'un pontificat





Les JMJ, deuxième naissance du Pape




Ce premier voyage du pape François à l'étranger marque un véritable tournant dans son pontificat, dont sept leçons au moins peuvent être tirées.




             La «naissance» et le véritable envol d'un pontificat


Le premier voyage à l'étranger du pape François est pour le Vatican un pari réussi au-delà des espérances. Vu le charisme de cet Argentin, il n'y avait pas beaucoup de risques, mais, à 76 ans, ce «jeune» pape - cinq mois le 13 août prochain - a passé brillamment cette épreuve qui n'est jamais gagnée d'avance pour un néophyte, comme on l'avait constaté avec le timide Benoît XVI aux JMJ de Cologne. Avec, qui plus est, ce double exercice: un premier voyage sur son continent d'origine mais aussi des turbulentes Journées mondiales de la jeunesse, qui exigent du Pape de tenir la route face à des jeunes dont il pourrait être le grand-père. Cette réussite propulse d'une certaine manière le pontificat sur une orbite très internationale qu'il avait acquise virtuellement, par médias interposés, mais qui n'avait pas encore été éprouvée par le feu de l'action. C'est chose faite. Ceux qui, en curie romaine, n'admettent pas les manières parfois rugueuses, voire têtues, de ce pape latino-américain vont devoir s'incliner devant le véritable envol de ce pontificat. Une sorte de naissance non plus sortie le 13 mars 2013 de l'urne de la chapelle Sixtine contenant 115 bulletins de votes cardinalices mais, symboliquement, de cette semaine ultra latino. Chaque heure a vibré comme une seconde élection: les catholiques d'Amérique du Sud - ils pèsent 40 % des catholiques du monde - sont vraiment derrière «leur» pape.

             Un programme et une vision enfin clairs pour l'Église catholique

Est-ce une ruse de jésuite? Il faut reconnaître que le pape François avait jusque-là enthousiasmé à l'extérieur de l'Église, rassuré la frange progressiste - aujourd'hui en extinction et présente dans la tranche 60-70 ans - et profondément inquiété les catholiques plus rangés, classiques, qui s'étaient sentis très à l'aise sous Benoît XVI mais qui n'appréciaient pas les railleries de François à propos des «chrétiens amidonnés». Or, les choses sont claires désormais dans deux grands discours fleuves adressés, samedi, à l'Église brésilienne et, dimanche, à l'Église latine (lire un extrait). Ces textes fondateurs valent une encyclique. Ceux qui se donneront la peine de les lire trouveront là un exposé enfin articulé de la «politique» ecclésiale du pape François. Elle n'était pas en effet «lisible» jusque-là. Sa vision paraissait confuse en raison de l'avalanche de petites phrases, souvent acides, sur l'état de l'Église et des chrétiens, extraites de ses homélies matinales et vaticanes. Les deux discours de Rio sont donc fondateurs. D'une dizaine de pages chacun, rédigés de sa main, ils démontrent, par exemple, que la volonté de «synodalité» du Pape - terme ecclésial désignant un gouvernement de l'Église moins centralisé, reposant sur un conseil d'évêques ou de cardinaux autour du Pape - n'est pas l'expression d'un progressisme rampant mais un rééquilibrage de l'excès de pouvoir cléricalisant de la curie romaine ces dix dernières années. Les catholiques pointilleux, s'ils doutaient, pourront être rassurés en les lisant de la pleine catholicité de ce religieux. C'est un jésuite à sensibilité sociale prononcée, mais de la vieille école.

              La confirmation de l'influence du Pape et du charisme de François

Une chose est de prêcher dans les bras rassurants du monde clos de la place Saint-Pierre de Rome, autre chose de prendre le micro en «live», devant trois millions de personnes à Rio, selon les estimations dimanche du maire de la ville pour la messe de clôture des JMJ. Et surtout de vraiment passer la rampe. Le pape François, pour novice qu'il soit, n'a démontré aucune appréhension particulière ni hésitation. Il s'est montré toujours à l'aise et heureux de ce contact direct avec la foule. Partout où il est passé, instance officielle, favela, église ou devant les milliers de jeunes, on a pu constater l'effet du charisme très particulier de ce pape. Sa simplicité et sa volonté de chercher absolument le contact avec tous gagnent à l'évidence les cœurs: homme ou femme de la rue ou, samedi matin, à la cathédrale de Rio, évêques bouleversés aux larmes… Avec lui, le Vatican qui cherchait à «gérer» ses problèmes de communication au début de cette année 2013 a trouvé un puissant vecteur médiatique. Ce charisme sans artifice objectivement confirmé par cette visite s'accompagne aussi d'une influence grandissante. Le cabinet Burson-Marsteller vient d'ailleurs de publier une étude réalisée à partir des comptes Twitter de 505 chefs d'État et de gouvernement et autres ministres dans 153 pays. Le président Obama reste le leader mondial le plus suivi sur Twitter avec plus de 33 millions d'abonnés (les «followers»). Mais le pape François, avec plus de 7 millions de followers, aurait davantage d'influence. Les messages de François sont en effet quatre fois plus «retweetés», donc rediffusés, que ceux d'Obama.

              Pas de fixation sur la sexualité mais la volonté d'une Église qui «réchauffe le cœur»

Ce voyage et ses publics très variés ont démontré le grand sens pastoral de cet archevêque devenu pape mais qui avait toujours voulu rester au plus près du terrain des paroisses. Beaucoup d'exemples concrets émaillent ses interventions. Il parle souvent comme un simple curé, évoque les fondamentaux d'un catholicisme populaire, prière de l'Angélus, confession, adoration eucharistique, aumône. Non pas en théorie mais comme des moyens concrets de nourrir une vie spirituelle. À la différence de Benoît XVI qui était un véritable maestro de la théologie, une sorte de polytechnicien du message catholique, incollable et une référence pour beaucoup d'intellectuels catholiques, François est un ingénieur chimiste, passé ensuite par le sévère crible de la formation jésuite. Il est beaucoup plus concret. Il veut rester dans l'atelier. Il a une âme d'ingénieur développeur doublée d'une compétence innée pour le «marketing». Il cherche toujours, baigné par sa culture très américaine, comment mieux présenter l'Église et le Christ. Sans concession sur le dogme mais sans mettre non plus la charrue avant les bœufs. Il est soucieux d'aller aux marges, aux «périphéries». Non «pour faire peuple» mais parce que cet homme de Dieu est persuadé que la mission de l'Église - il l'a dit avec une force inégalée samedi et dimanche - est d'abord pour ceux qui ont quitté l'Église ou qui n'y sont jamais entrés. D'où la priorité donnée samedi aux évêques brésiliens à une Église qui sache «réchauffer le cœur» de l'homme. Ainsi la question morale sexuelle, souvent décriée, n'a pas été une seule fois évoquée par le pape François pendant ces JMJ. Non qu'elle soit secondaire dans son esprit mais elle n'est pas pour lui une priorité dès lors qu'elle empêcherait l'accès à l'essentiel du message chrétien. Il y a là une inflexion significative.

              Un voyage hanté par la difficile gestion du changement dans l'Église

Ce premier voyage du pape François à l'étranger s'est inscrit dans un contexte assez tendu au Vatican. Il y a eu, avant de partir, l'explosion d'un scandale touchant Mgr Battista Ricca, l'un des hommes de confiance du Pape pour piloter la réforme de la banque du Vatican. Il a été rattrapé par un passé homosexuel. Curieusement, les informations concernant cet évêque n'auraient pas été portées à la connaissance du Pape. En attendant, ces informations, avérées, ne sont pas arrivées dans la presse par hasard. Elle visait à affaiblir l'élan de la réforme de la banque du Vatican voulue par le Pape mais aussi celle de la Curie romaine programmée pour cet hiver et qui s'annonce drastique. Ambiance… Il y a de fortes résistances internes au Vatican qui s'opposent de manière passive à l'action à l'évêque de Rome. Or, le pape François travaille abondamment à ce dossier. À Rio, il a consacré une partie de sa journée de mardi, théoriquement prévue pour son repos, à cette question en compagnie du cardinal Maradiaga du Honduras, chargé de coordonner la commission de huit cardinaux de différents points du monde qui préparent cette minirévolution. Tous les chefs d'entreprise savent que piloter le changement est sans doute l'une des tâches les plus délicates du management. A fortiori dans une institution comme le Vatican où le protocole et les usages ont bétonné une culture quasi «irréformable». François est confronté à cette problématique, mais les réticents du Vatican vont devoir compter avec le succès de ce déplacement qui va considérablement renforcer son autorité, comme s'il avait fait ses preuves.

             La formule JMJ est confirmée, mais le défi jeune n'est pas résolu pour l'Église

Il y avait un doute au début du pontificat de Benoît XVI sur la pérennité des JMJ, dont la formule show avait été taillée sur mesure par et pour Jean-Paul II. Le mystique Benoît XVI y a apporté sa touche personnelle en rendant par exemple beaucoup plus spirituelle la soirée du samedi soir, insistant sur l'adoration eucharistique. Mais certains se demandaient quel avenir pouvaient avoir, à terme, ces immenses rassemblements internationaux dont Rio est la 28e édition. La question ne se pose plus après cette édition 2013 et l'adéquation évidente du pape François avec ce type de rassemblement. Les prochaines JMJ auront lieu en 2016 à Cracovie en Pologne et il y en aura d'autres. Les JMJ ne résolvent pas pour autant la relation entre l'Église catholique et l'immense majorité des jeunes. L'exemple le plus criant est d'ailleurs au Brésil où les fidèles de l'Église catholique vieillissent, alors que les adeptes des Églises évangéliques sont beaucoup plus jeunes, ainsi que le démontre «la marche pour Jésus» qu'ils organisent chaque année à Rio. Pour autant, la qualité des témoignages totalement bouleversants des jeunes Brésiliens pendant la veillée de samedi soir démontre le potentiel considérable de l'Église catholique dès lors qu'un pape - comme Jean-Paul II de façon spectaculaire - sait lever l'enthousiasme des jeunes. Cela dit, le chantier est considérable, l'ex-cardinal Bergoglio, pour bien connaître la réalité concrète du terrain d'une Église locale aux prises avec le monde actuel, le sait mieux qu'aucun de ses prédécesseurs. D'où l'énergie qu'il déploie pour toucher les cœurs.

             Une énergie personnelle incroyable et le mépris de sa sécurité

À 76 ans, le pape François a fait preuve d'une énergie hors norme pendant tout ce déplacement. Très présent intellectuellement, très mobile physiquement, d'une humeur plutôt excellente, sérieux quand il le faut mais plaisantant à tout bout de champ, il a surpris son entourage par sa force et son «énergie inépuisable». Tout le monde se demande en vérité s'il réussira à tenir un tel rythme… Sachant qu'il a annoncé qu'il ne prendrait pas de vacances et travaillerait tout l'été au Vatican. Aucun de ses prédécesseurs ne l'a fait. Au sanctuaire d'Aparecida, il a même donné rendez-vous à la foule en 2017. Ce sera l'année de ses 80 ans. D'aucuns se demandent si François, à la suite de Benoît XVI, n'aurait pas en tête de remettre lui aussi sa charge, dès lors qu'il n'en aurait plus les forces. Ce qui expliquerait par conséquent que cet homme élu par ses pairs cardinaux pour, il faut le dire, faire le «sale boulot» de réforme de la curie n'ait rien à perdre ni à prouver. Il ne compte donc pas son énergie sachant, à son âge, que son temps est compté. Cette attitude de don total de soi, sans mesure et ni précaution, s'est vérifiée pendant ce voyage sur la question de sa sécurité. À son arrivée, lundi soir, une erreur d'aiguillage dans une rue de Rio encombrée aurait pu très mal tourner pour lui. D'autant qu'il tient à se déplacer dans une papamobile légère ou dans une petite Fiat Idea de série, fabriquée au Brésil. Le Vatican n'a pas voulu mettre dans l'embarras le gouvernement brésilien responsable de cette inédite et incroyable et bévue, mais la question de la sécurité passive du Pape a été posée car cette voiture banale et basse ne comportait aucune sécurité. Pour la suite de la semaine, il a refusé l'usage d'une voiture sécurisée. Lundi, au pire moment de l'assaut de la foule, François a exigé que les vitres ne soient pas remontées pour mieux saluer les gens…





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