lundi 29 juillet 2013

La collection Planque sont rassemblés à la chapelle des Pénitents.





Une chapelle pour Picasso et Gauguin








« Dubuffet a bien vu que je ne savais rien. Il m'a enseigné. Il m'a donné des clés pour savoir analyser une œuvre »
JEAN PLANQUE


À Aix-en-Provence, quelques  chefs-d'œuvre de la collection Planque sont rassemblés à la chapelle des Pénitents.

Longtemps la collection Planque a été sur le point de devenir le fleuron du Musée des beaux-arts de Lausanne. Celui-ci tardant à se construire, elle a finalement été déposée pour quinze ans au Musée Granet d'Aix-en-Provence en 2010 et aussitôt exposée à l'été 2011. Elle vient d'être accrochée sur 700 m2 dans la chapelle des Pénitents blancs aménagée pour la circonstance. Elle devrait y rester au moins jusqu'en 2025. Planque aurait été comblé par ce lieu dont la restauration exalte les voûtes croisées d'ogives, et de la proximité de la montagne Sainte-Victoire: il donnait à l'art une dimension mystique et vénérait Cézanne.
<i>La montagne Sainte-Victoire vue des Lauve</i>s, de Paul Cézanne.
Dans la chapelle des Pénitents, à travers le hasard des rencontres, l'accrochage rend compte d'une page d'histoire de l'art sous-tendue par une recherche essentielle. Celle de Cézanne qui hantera Planque sa vie durant. Il guette les peintres et les œuvres pour qui le sujet, paysage ou portrait, ne compte plus «mais devient le siège d'une émotion recréée par les formes». Ainsi à leur manière, Manessier, Bazaine, de Stael, Hartung ou Riopelle qu'il amènera chez Beyeler et dans sa propre collection.
Au rez-de-chaussée, l'exposition s'ouvre par la figuration puis progresse vers le cubisme dont toutes les facettes sont présentées, puis Picasso en apothéose dans le chœur, avec laFemme au chat assise dans un fauteuil, pythie surprenante d'autorité et de mystère. Planque la tenait pour le clou de sa collection. Derrière elle, dans l'abside, se dévoile l'extrême douceur du Buste de femme endormie au crayon de couleur rose, Picasso a saisi Jacqueline endormie dans l'atelier. Elle y suivait l'artiste au travail, jour et nuit. La fatigue l'a surprise.
<i>Portrait d'une Tahitienne,</i> Paul Gauguin, vers 1891
Chemin faisant, le regard se ménage des diagonales: l'une court du fusain d'une Tahitienne parGauguin à une huile montrant un torse de femme de profil par Pierre Bonnard. Mais il faut aussi se faire raconter la manière dont les toiles sont entrées dans la collection pour comprendre la force de Planque. Les deux Monet ont été offerts par son fils Michel. C'est Planque qui lui révèle la valeur des œuvres des Monet tardifs, celles de «l'homme malade à la vue déformée et qui aurait peut-être bien voulu qu'elles fussent détruites lors de la guerre quand un obus éclata dans l'atelier de Giverny». Il y a aussi un Van Gogh reconnu sous la crasse dans les WC d'un parfumeur de province, un Vallotton offert par Beyeler en reconnaissance, une Tour Eiffel de Delaunay offerte par Sonia en remerciement de ses efforts lors de la préparation de l'exposition consacrée à son mari chez Beyeler, un Bonnard qu'il refuse de céder parce que le nez du modèle lui semble suspect… L'œil toujours.
Deux mezzanines suivent, superposées sans couper l'élan de la chapelle, mais permettant au contraire au visiteur de l'éprouver davantage tant les voûtes portent la lumière et l'âme de cet édifice XVIIe. La première souligne le parcours de Planque dans l'abstraction. Klee, Tapiès, de Stael, Sam Francis, Vieira da Silva. La seconde expose la fascination et la longue amitié de Planque pour Dubuffet.

«Dubuffet a bien vu que je ne savais rien. Il m'a enseigné. Il m'a donné des clés pour savoir analyser une œuvre», dit Planque. Lui si réfléchi, posé, méticuleux, reste ébahi devant la fébrilité de Dubuffet. Il défend son œuvre auprès des marchands, des conservateurs et des collectionneurs étrangers et se rend dans l'atelier de la rue Vaugirard. Il y contemple les tableaux de son œil-laser et vérifie que «cela tient». Dubuffet ouvre à Planque ses domaines chéris de l'art brut. À côté de Louis Soutter ou d'Aloïs, Planque collectionne les œuvres joyeuses de Kosta Alex. Ainsi, The Girl from Southern Francedont, comme par prédestination, la bouche embrasse… la ville d'Aix-en-Provence.
Avant de travailler pour le marchand Ernst Beyeler de 1954 à 1972, Jean Planque s'était établi dans un mas à Puyloubier, près d'Aix, afin de prendre sur les lieux la leçon de Cézanne. Diverses toiles s'en suivront dont une qu'il conservera jusqu'à la fin de sa vie accrochée dans la pénombre de sa cuisine. Certains visiteurs la prenaient pour un Matisse et Planque souriait. Il avait accepté que sa relation à la peinture se joue ailleurs qu'au pinceau. Il avait un œil. «Le tableau s'impose à moi avec brutalité et je pressens. Je pressens le mystère, ce qui ne peut être dit ni à l'aide de la musique, ni à celle des mots. Immédiate préhension. Chose émotionnelle. Possession de tout mon être. Je suis en eux et eux en moi. Tableaux !», note-t-il dans ses cahiers.
Cet œil si sûr lui ouvre la porte de la galerie Beyeler, mais aussi l'intimité de nombreux artistes dont Picasso et Dubuffet. Sur les trois cents œuvres de sa collection, la moitié sont des chefs-d'œuvre. Non pas que Planque ait eu des moyens de magnat. Mais, protestant, économe, il a une parole si scrupuleusement honnête qu'il met dans le mille. Les œuvres qui lui plaisent, Planque trouve souvent un moyen de les obtenir, des marchands ou des clients en remerciement de transactions, ou bien des artistes eux-mêmes qui lui font des facilités.
«Je m'étonne toujours parce que j'ai tendance à refuser vos œuvres nouvelles», dit-il à Picasso ravi de découvrir en lui un visiteur d'une autre espèce que ceux «qui ne voient que dessus et non dedans le tableau».







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