mardi 13 novembre 2012

Delacroix




L'hommage à Delacroix 

s'expose






L’Hommage à Delacroix peint par Henri Fantin-Latour en 1864.
(© RMN/musée d’Orsay/ /Hervé Lewandowski)





Eric Bietry-Rivierre

Installée et expliquée dans l'atelier du maître romantique, la toile-manifeste de la modernité exécutée par Fantin-Latour retrouve toute sa polysémie.


C'est dans les lieux mêmes où Delacroix s'éteignit que Christophe Leribault, brillant élément du Louvre à la tête du charmant musée de la place de Fürstenberg, décortique l'Hommage peint par Henri Fantin-Latour (1836-1904). Une idée un brin sadique.
1863: le parrain est mort. Comme d'habitude dans ce cas, les prétendants se réunissent pour un adieu solennel où la compétition affleure. Bourdieu aurait trouvé parfaite cette illustration des tiraillements de l'avant-garde pour l'appropriation du capital symbolique accumulé par le vieux lion romantique. Avec, dans les rôles principaux, Manet, Baudelaire, Whistler…
Autour de la toile-manifeste de la modernité prêtée par Orsay, Leribault livre pour la première fois l'intégralité du dossier: dessins préparatoires, esquisses peintes, correspondances, quelques photographies et plusieurs travaux ultérieurs sur le thème. Ce corpus permet d'expliquer nombre de détails troublants.
Pourquoi aucun des dix visages n'est-il tourné vers Delacroix? Pourquoi son effigie ressemble-t-elle plus à une photo sépia d'élégant bourgeois qu'à un buste lauré de génie en gloire? Pourquoi Fantin a-t-il préféré s'inspirer des portraits de groupe du Siècle d'or hollandais que des apothéoses classiques? Qui au juste compose cette assemblée funèbre au mélange subtil d'artistes et de critiques mais sans unité de regards, d'habits ou d'attitudes? Que signifie la place impartie à chacun? Pourquoi dix gâchettes aux mines sérieuses mais guère éplorées, et pas plus ou pas moins? Donner les clefs de ce polar serait le gâcher. On préférera attiser le mystère en rappelant quelques incongruités. La première est que, Baudelaire excepté, personne ne semble avoir eu de lien direct avec Delacroix. «Peu même ont eu la chance de le rencontrer», précise le commissaire.

           Seconds couteaux

Cela a été le cas pour Manet. Mais, malgré un respect affiché et sincère, l'auteur du sulfureux Déjeuner sur l'herbe trouvait que l'art du nouveau Rubens n'allait pas assez loin. Autres détails savoureux: le poète des Fleurs du mal et le romancier Duranty, installés aux extrémités opposées de la composition, ne pouvaient se souffrir ; Delacroix tenait Bracquemond pour un dessinateur inexpérimenté et Cordier, qui fut surtout un paysagiste, trouvait «pénible» la peinture du maître.
Mais le point le plus important est l'absence de Courbet, l'autre aîné - certes dédaigné par Delacroix mais qui a considérablement marqué ses cadets. À tout choisir, Fantin a préféré Manet. Moins âgé, plus proche. Le peintre qui allait se trouver en pole position des artistes scandaleux avec son Olympia capte le maximum de lumière. À proximité, quasiment au centre, Champfleury est un intellectuel bien plus connu pour sa défense du réalisme que de Delacroix. Assis les bras croisés, nous fixant d'un regard presque aussi intimidant que celui de Baudelaire, il est déjà établi. Et règne ici avec l'assurance du Monsieur Bertin d'Ingres, chose qui ne manque pas de piquant dans une œuvre célébrant celui qui en fut le principal opposant. On ne parlera donc pas ici d'école, ni même de mouvement.

            Pour la nouvelle génération «un exemple de liberté»

Dans l'exposition, des documents montrent d'autres personnages envisagés initialement. Fantin semble les avoir supprimés à coup de silencieux. Florestan Myionnet, Guillaume Régamey ou encore Théodule Ribot ne sont guère passés à la postérité. C'était des seconds couteaux. Mmes Fantin-Latour et la sculpteur Adèle d'Affry, une amie de Delacroix, ont également été passées par pertes et profits. Une victime au moins avait pourtant sa place dans le dispositif. Il s'agit du préraphaélite anglais Dante Gabriel Rossetti. Mais, trop affairé de l'autre côté de la Manche, il n'a pu venir poser dans l'atelier de Fantin rue Saint-Lazare, contrairement à Legros et Whistler.
Au final, quel point commun trouver à cette société triée sur le volet? Sauf peut-être pour Alfred de Balleroy, ami cher mais artiste médiocre, qui, tout de même, laisse un portrait très vivant de Manet (un inédit, prêt de la collection Forbes), tous entendaient d'abord vivre leur vie. Sans doute admiraient-ils l'auteur de La Liberté guidant le peuple, mais ils étaient loin de la vénération inconditionnelle. «En fait, la nouvelle génération a surtout pris Delacroix comme un exemple de liberté», résume Christophe Leribault. Seulement ça, mais tout ça.
«Fantin-Latour, Manet, Baudelaire: L'hommage à Delacroix», jusqu'au 19 mars, au Musée Eugène-Delacroix, 6, rue de Fürstenberg (Paris, VIe). Catalogue Le Passage/Louvre, 168 p., 28 €. Tél.: 01 44 41 86 50. www.musee-delacroix.fr











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