mercredi 30 novembre 2011

Comment le "sauvage" est devenu

l'unique figure de l'autre lointain.

L'exposition qui s'ouvre lundi 28 novembre au Musée du quai Branly, à Paris, entrelace deux sujets qui ne se confondent pas. Le premier est celui de la perception de l'autre dans les pays occidentaux depuis la Renaissance. Tout individu perçu comme différent, inquiétant ou seulement pittoresque. Ainsi les bizarreries de la nature - nains, géants, obèses, mais aussi les "hommes de couleur". L'exposition fait un inventaire de ces figures de l'altérité.


Marche de Puce, Paris. Photo, Rivero Francisco


Le lointain y tient une place considérable, le lointain du Siam dont Louis XIV reçoit les ambassadeurs, celui des Iroquois et Algonquins dont les envoyés sont accueillis à la cour d'Angleterre. Dans les oeuvres qui décrivent ces solennités, comme dans leurs relations littéraires, la stupeur va jusqu'à l'incrédulité. "Comment se peut-il que la création divine comprenne de tels êtres, dont les costumes et les coutumes ressemblent si peu aux nôtres ?" : la question prend au dépourvu l'Europe.

Quelques-uns cherchent à savoir qui sont ces peuples et à mesurer combien ces découvertes imposent de se détacher d'une conception du monde dans laquelle il faut une place pour les Pygmées ou les Indiens.

D'autres, infiniment plus nombreux, se bornent à s'enrichir, en s'emparant des terres, puis en organisant la traite des esclaves à destination des plantations d'Amérique. Dès le XVIIe siècle, l'homme noir, c'est l'esclave - et bien peu s'en indignent. "Exhibitions", curieusement, ne rappelle rien de la traite et ce silence étonne d'autant plus que la colonisation s'accomplit avec en tête exactement la même stupide certitude d'être supérieur. Simultanément, des entrepreneurs de spectacle mettent en scène les moeurs de ces supposés sauvages dans les foires et les cirques.

Engouement écoeurant

C'est là l'autre sujet de l'exposition, celui qui se dégage du premier sans que soit assez nettement dit que le "sauvage" ne devient l'unique figure de l'autre lointain - la caricature plutôt - que durant le XIXe siècle colonialiste et industriel alors qu'auparavant, il y en avait d'autres, bien plus intelligentes.

Dans les années 1840 et 1850 encore, le regard n'est pas nécessairement méprisant, comme le montrent les portraits d'Indiens des plaines peints par George Catlin. Ceux des Océaniens de Gauguin montrent le même désir de comprendre et de préserver. Mais qui les regarde alors ? Bien peu des millions de visiteurs des Expositions universelles ou coloniales, dont la deuxième moitié du parcours accumule jusqu'à la nausée affiches, photographies et réclames.

Dans le dernier quart du XIXe siècle, aucun pays occidental n'échappe à cet engouement écoeurant. Allemagne, Etats Unis, France, Royaume-Uni, Belgique : on y exhibe des familles razziées en Afrique, aux Philippines ou en Nouvelle-Guinée. Installés dans des simulacres de villages, sommés de rejouer de pseudo-rituels, ces figurants sont traités comme des animaux. Sur ce point, la démonstration qui s'accomplit dans "Exhibitions" est à la fois définitive et accablante.
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Musée du quai Branly, 37, quai Branly, Paris 7e. Tél. : 01-56-61-70-00. Mardi, mercredi et dimanche, de 11 heures à 19 heures. Jeudi, vendredi et samedi de 11 heures à 21 heures. Jusqu'au 3 juin.


Philippe Dagen ( Article )





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