Carlos Acosta a terminé ses études à l´École Nationale de ballet en 1991. Il fut considéré comme l’un des meilleurs élèves de tous les temps par ses professeurs. L’ascension de sa carrière fut particulièrement impressionnante. Il remporta des prix en Suisse, en France, en Pologne, en Italie et aux États-Unis. En 2003, le cercle des critiques britanniques lui a même accordé le prix du meilleur danseur d’Angleterre.
Comment s’est passé ton initiation à la danse ?
Est-ce que ta famille t’a influencé dans l’étude du ballet classique ?
À l’âge de neuf ans, je dansais le break-danse dans la rue avec mes amis.
Mon rêve était de devenir joueur de football mais mon père a insisté pour m’inscrire à l’école de Ballet (suite à une suggestion d’une voisine). Il disait aimer le ballet mais son objectif, en m’inscrivant dans cette école, était de m’éloigner des gangs de rues et de la délinquance.
J’ai commencé par adhérer à l’école « L et 19 » dans le Vedado plutôt à reculons. J’ai vite été expulsé et transféré à l’académie de Villa Clara d’abord puis celle de Pinard del Rio ensuite. C’est dans cette dernière que j’ai pris goût au ballet. Mes professeurs m’ont fait persévérer dans ma technique. Quand je suis retourné à La Havane pour passer l’examen final, j’étais un tout autre garçon. J’ai même obtenu la plus haute note.
Qu’est ce que ça représente pour toi le fait de faire partie du Ballet National cubain ? Comment te sens-tu parmi les meilleurs danseurs de l’Île ?
J’admire mon pays. Je suis fier d’être Cubain. Je suis prêt à beaucoup de choses pour promouvoir la culture cubaine. Mon pays m’a amplement remercié en me nommant premier danseur du Ballet National. C’est la plus haute distinction de cette discipline et c’est une fierté d’y être arrivé en étant passé par l’école cubaine de ballet.
À l’étranger, La Havane me manque beaucoup. C’est en pensant à mon pays durant un voyage à Londres que j’ai eu l’idée du ballet Tocororo qui raconte, d’une certaine façon, l’histoire de ma vie : un enfant de la campagne cubaine se fait convaincre par son père de partir en ville. Il s’extasie alors devant les splendeurs de la grande ville, rencontre ses premiers amours mais reste confronté à un problème récurrent d’intégration.
Créer à partir de souvenirs est un processus très motivant. C’est pour cette raison que j’ai développé ce spectacle et que je le produis également ici.
« Le plus important pour un être humain est de s’épanouir dans ce qu’il est. »Carlos Acosta
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Tu as réussi à devenir le premier danseur de l’American Ballet Theatre de New York et du Royal Ballet londonien. Comment as-tu fait ?
La sélection a été rude. Je dansais pour le Houston Ballet mais j’étais toujours à la recherche de nouveaux défis. C’est ici que j’ai pu m’entretenir avec Kevin, directeur de l’American Ballet Theatre de New York. Je lui ai parlé de mon souhait d’intégrer sa compagnie tout en gardant la possibilité de danser avec le Houston Ballet. La proposition ne l’a pas intéressé. J’étais vraiment déçu.
Mais je ne suis pas une personne qui se décourage facilement. J’ai donc cherché d’autres opportunités avec le Royal Ballet de Londres. J’y suis resté cinq années avant de rencontrer de nouveau Kevin à Saint-Pétersbourg alors que je dansais avec le Ballet Kirov. Après m’avoir vu sur scène, il est revenu sur sa précédente décision et m’invita dans sa troupe. C’est pourquoi je danse toujours aujourd’hui avec l’American Ballet Theatre.
Tes contrats à l’étranger t’empêchent de te produire souvent sur les scènes cubaines. J’imagine que cela doit t’offrir d’agréables sensations quand tu as la possibilité de danser à La Havane ?
C’est toujours agréable de retrouver son pays, son public originel, les personnes qui t’ont vu grandir. Une des choses que je regrette le plus est le fait que ma famille ne puisse pas partager mon succès. C’est pour cette raison que je suis pleinement heureux quand je rentre à La Havane.
Cuba est le seul endroit où je ne suis pas considéré comme un étranger. J’aime retourner dans mon quartier, sentir ses odeurs… Le plus important pour un être humain est de s’épanouir dans ce qu’il est.
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À ton avis, quelle fut ta plus grande contribution à ton art ces dernières années ?
Je crois que j’ai réussi à donner une touche singulière d’humanité à mon interprétation. Je n’essaye pas d’imiter les personnages mais de les vivre pleinement. Aussi, grâce à mes origines caribéennes, je peux interpréter toutes sortes de rôles.
Dans quel état se trouve la danse classique aujourd’hui ?
À mon avis, il manque de chorégraphes originaux : les Ashton ou MacMillan de notre époque n’ont pas réussi à trouver les chorégraphies capables de révéler un message profond aux spectateurs. Non, la danse classique n’est plus dans la splendeur qu’elle était dans les années 70.
Publié dans Opus Habana, septembre 2004
Karín Morejón Nellar