Francisco Rivero, sur les traces de Keith Haring
Au musée d’Art moderne de Paris et au Centquatre, lieu de résidence et de création artistiques, la rétrospective de cet acteur de la contre-culture nous fait redécouvrir une œuvre dense qui exprimait les angoisses de son temps.
Par, Hélaine Lefrançois
L’entrée de l’exposition « Keith Haring. The Political Line » nous prévient : « Nous informons les visiteurs que certaines images de l’exposition peuvent heurter un public non averti. » Les œuvres de Keith Haring présentées au musée d’Art moderne de Paris concordent à peine avec les iconiques bonhommes colorés cernés de noir que l’on retrouve sur les T-shirts, les badges ou coques d’iPhone. Détournement du propos de l’artiste ? En réalité, c’est Keith Haring qui décide de vendre des produits dérivés, lorsqu’il ouvre un pop shop (magasin pop art) dans le quartier de Soho, en 1986. Il s’inscrit dans l’héritage d’Andy Warhol, qui, avec ses sérigraphies, propose une marque de fabrique et refuse la singularité d’une œuvre. Dans un même souci de diffusion de son art et de son message, Keith Haring brave l’interdit dans le métro, multipliant les dessins à la craie. Attiré par la contre-culture, il s’intéresse aux arts de la rue, à l’instar de Jean-Michel Basquiat à la même époque. Le prodige, né en 1958, à l’allure adolescente, agace les esthètes autant qu’il suscite l’intérêt.
Keith Haring adopte une position tranchée et querelleuse pour s’attaquer aux aberrations sociales. Le racisme, la dictature, la discrimination sexuelle, l’emprise des médias et de la religion, l’injustice du capitalisme, autant de thèmes qu’il traite avec ferveur. L’artiste travaille les leitmotivs – le chien qui aboie, l’homme au ventre troué, le bébé rayonnant, etc. – qui donnent une cohérence à son œuvre. Le motif récurrent du cochon androïde semble représenter l’aliénation que l’establishment fait peser sur l’individu. Tantôt le monstre vomit un flot d’objets d’électroménager à la couleur du dollar, tantôt il transperce la tête d’un homme et le castre. Mais Keith Haring est aussi militant. Scandalisé par l’apartheid, il peint la libération de l’homme noir : chaînes coupées aux chevilles, l’oppressé brandit la couronne rayonnante de l’impérialiste blanc, qui se vide de son sang, tout juste décapité.
L’artiste exprime une angoisse liée à son temps. Ses premières œuvres sont marquées par une prise de recul amère et sombre. Everybody Knows Where The Meat Comes From, It Comes From The Store (Tout le monde sait d’où vient la viande, elle vient du magasin), 1978, évoque peut-être le chaos d’une guerre (celle du Vietnam ?) avec sa montagne d’objets indistincts et les éclaboussures de peinture rouge. Rapidement, l’artiste abandonne l’abstraction pour la figuration, car il souhaite véhiculer un message clair. Quand il apprend qu’il est atteint du sida, en 1988, son combat contre la maladie redouble. Le « safe sex » (rapports sexuels protégés) qu’il prônait devient une dénonciation du silence qui entoure la maladie. Il figure le virus par un spermatozoïde démoniaque, en guise d’avertissement. Jusqu’à trente et un ans, Keith Haring aura créé avec frénésie des cut-up, des peintures sur des bâches de vinyle, des fresques murales, des sculptures en acier, dont les plus grands modèles sont exposés, en complément du MAM, au Centquatre. Mort en 1990, il ne sera pas parti sans avoir laissé son empreinte.
Jusqu’au 18 août, au MAM et
au Centquatre. Catalogue aux Éditions Paris Musées. 320 pages, 34 euros
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