Sur la piste du vrai Van Gogh
À Amsterdam, le grand musée consacré au peintre a rouvert après sept mois de chantier. Toute la collection fait l'objet d'une nouvelle présentation qui révèle, sous le mythe, l'artiste à l'œuvre.
- Par, Erick Bietry-Rivierre
Depuis le 1er mai, le Van Gogh Museum a rouvert. Cette institution d'Amsterdam avait dû fermer sept mois pour revoir sa climatisation et son système de sécurité. Pendant ce temps, afin d'éviter trop de frustrations et de manques à gagner, elle avait accroché ses «highlights» à quelques canaux de là, dans l'antenne hollandaise du Musée de l'Ermitage. Et une quarantaine d'autres œuvres étaient expédiées en Corée et au Japon où elles bouclent une tournée triomphale permettant de financer en partie le rééquipement.
Aujourd'hui donc, la plupart des trésors laissés par le génie néerlandais ont retrouvé leur demeure. À l'intérieur, les volumes imaginés dans les années 1960 par Gerrit Rietveld - quatre plateaux autour d'un puits d'accès central - n'ont pas changé. Les parois auparavant blanches ont simplement été colorées à la manière du Musée d'Orsay. Fonds bleu, gris, voire de jaune canari comme pour Les Mangeurs de pomme de terre (alors que son auteur préconisait plutôt un support couleur «blés mûrs»).
Plus réussie est la nouvelle muséographie, thématique, donnant à comprendre ce fonds exceptionnel de quelque deux cents tableaux et de centaines de dessins et lettres. Enrichie de prêts à court terme, elle propose sur l'intégralité des surfaces une autre lecture, plus technique et moins mythique, de Vincent Van Gogh (1853-1890): le travail en plein air ; les toiles grattées ou recouvertes d'une nouvelle composition (sur 400 analysées, une centaine l'a été, parfois à plusieurs reprises) ; les outils et instruments, dont l'emploi fréquent du cadre à perspective ; les couleurs (Orsay a prêté la seule palette subsistante, celle qu'avait conservée le docteur Gachet) ; la touche, tantôt pâteuse tantôt diluée à l'essence, à l'exemple de Toulouse-Lautrec.
Cette conceptualisation très avisée de l'œuvre ne durera toutefois qu'un temps. Jusqu'à ce que soit réutilisable, début 2015, l'aile dessinée par Kisho Kurokawa en 1999 et destinée aux expositions temporaires. Afin de rendre cette extension plus simple d'accès et plus attrayante, une entrée va en effet être ménagée dans sa façade latérale nord, reliant ainsi l'aile au corps principal non plus seulement par le sous-sol mais de plain-pied, à partir de l'Esplanade des musées. Là où se trouvent le Rijksmuseum, le Stedelijk Museum et le Diamond Museum.
La beauté des voies nouvelles
En attendant, le parcours multiplie les enseignements et les découvertes sur l'homme et l'artiste. «Corriger une légende, c'est difficile, mais nous nous y efforçons, dit bravement Nienke Bakker, spécialiste des lettres de Van Gogh, conservatrice et co-commissaire. Il faut aller contre l'idée largement fausse d'un Van Gogh autodidacte, spontané, seul et marginal. Nous expliquons sa formation, notamment ses lectures scientifiques sur la théorie des couleurs ou l'anatomie. Nous soulignons ses visites aux musées, ses passages dans des ateliers et académies. Nous montrons ses reprises incessantes des maîtres réalisées à partir de sa collection de gravures. Nous rappelons qu'il a presque toujours œuvré en compagnie d'autres peintres. Pas seulement Gauguin, mais aussi, auparavant, avec des gens moins connus comme Anthon van Rappard ou Christian Mourier-Petersen. Dès 1883, bien avant Arles donc, il envisage la création d'une mutuelle d'artistes. Enfin, nous détaillons ses liens avec les avant-gardes, faits d'influences réciproques. L'impressionnisme de Monet et de Pissarro, le pointillisme de Seurat et de Signac, le cloisonnisme d'Émile Bernard ont été débattus par Van Gogh, pinceaux à la main…»
Au fil du parcours, on mesure ainsi un travail intense, fait d'exercices et d'expérimentations. Dix années de carrière seulement nous auront laissé plus de 800 peintures et un bon millier de dessins. Ils témoignent d'un engagement toujours sincère et entier pour ouvrir à la beauté des voies nouvelles, souvent inattendues. La marque du génie.
«Van Gogh à l'œuvre», jusqu'au 12 janvier, Van Gogh Museum. Tél.: + 31 (0) 20 570 52 00.www.vangoghmuseum.nl. Catalogueen français Actes Sud, 304 p., 55 €.
Le drame du 29 juillet 1890: suicide ou homicide?
Suicide ou pas? Plutôt oui, ont récemment estimé deux spécialistes du Musée Van Gogh. S'exprimant après enquête au nom de leur institution dans The Burlington Magazine (no 1324, juillet 2013), Louis van Tilborgh et Teio Meedendorp ne retiennent pas l'hypothèse défendue par Steven Naifeh et Gregory White Smith dans une biographie de l'artiste de près de mille pages sortie en octobre 2011. Ces auteurs réputés - qui ont décroché le prix Pulitzer en 1991 pour leur biographie du peintre Jackson Pollock et ont travaillé sur Van Gogh pendant dix ans - ont tenté de décortiquer une vieille rumeur locale voulant que le peintre ait en réalité été victime d'un coup de feu tiré accidentellement par Gaston et René Secrétan, deux frères d'Auvers-sur-Oise. Ce qui est sûr, c'est que, touché à l'abdomen, Van Gogh s'est éteint deux jours plus tard, le 29 juillet 1890, après avoir dit sur son lit de mort qu'il avait lui-même appuyé sur la détente.
Il aurait couvert les Secrétan, mineurs à l'époque des faits mais qui risquaient tout de même gros s'ils se trouvaient pris dans les rets de la justice, avancent les biographes. Pas d'homicide involontaire rétorquent les experts hollandais. Le suicide «est éminemment défendable, à la fois psychologiquement et historiquement». Toutefois, ils admettent que «beaucoup de questions restent sans réponse». René Secrétan a été interrogé en 1957. Il a déclaré avoir possédé un pistolet qu'avait pu utiliser Van Gogh… L'arme n'a jamais été retrouvée.
Une exposition consacrée à l'artiste apporte de nouveaux éclairages sur le peintre et sa technique.
• Un copieur acharné
Van Gogh n'a pas copié de gravures pédagogiques que durant sa période d'apprentissage. Quelques semaines avant de mourir, il avait entamé la reproduction des soixante lithographies de nus masculins compris dans les Exercices au fusain de Charles Bargue. «Cela console», confiait-il à son frère Théo, comme s'il souhaitait repartir de zéro. Ces cours, il les avait déjà pourtant intégralement travaillés à quatre reprises, de 1880 à 1881. Par ailleurs, sa collection d'illustrations à copier a fini par dépasser les 1500 feuilles, sans compter les estampes japonaises (au moins 450 réunies avec Théo). Les planches proviennent souvent de magazines. À ses débuts, Van Gogh s'imaginait d'abord en illustrateur.
• Un étudiant indocile
Il a fini 25e et dernier au premier concours qu'il passe après un mois d'étude à l'Académie royale des beaux-arts de Bruxelles. À l'examen de fin de session de celle d'Anvers, il est renvoyé au cours de base. Il n'est pas mauvais mais il ne prise guère le dessin d'après les plâtres. Surtout il n'aime pas commencer par le contour. Il cherche d'abord le volume général et l'expressivité, comme le préconisait Léonard de Vinci.
• Des techniques multiples
Si elles sont motivées par le manque de moyens, les techniques de l'artiste se révèlent multiples et finissent toutes par être parfaitement maîtrisées, excepté la lithographie, quasi absente. Impressionné par le chemin à accomplir pour être un peintre digne de ce qu'il imagine, Van Gogh attendra 1883 pour acquérir un chevalet. Par la suite, si la toile manque, il emploiera tout ce qui lui tombe sous la main, nappe à carreaux ou serviette rayée. Si ce sont les pigments ou les tubes, les brosses plates en soie de porc ou encore les fins pinceaux en poil de martre qui font défaut, il repasse au dessin, la pratique des premières années. Encres à la plume ou au roseau, craies noires ou de couleur (surtout celles, brutes, dite de montagne), fusains, crayons (de préférence celui du charpentier dont la mine rectangulaire permet des traits fins ou épais selon qu'on le tourne)… Pour fixer la poudre et éviter que la feuille ne brille trop, il renverse un verre de lait dessus et fait sécher.
• Des matériaux qui s'altèrent
L'usage de certaines encres et huiles a eu des conséquences néfastes. Le Van Gogh Museums'honore en pointant ce qu'on cache d'habitude: des traits qui se sont quasiment effacés, des couleurs qui ont passé, cela dès la première décennie. Ainsi, le rouge à l'extrémité de plusieurs pétales de Vase avec iris (Van Gogh Museum), certains jaunes dans les Tournesols de la National Gallery ou le violet de La Chambre à coucher (Van Gogh Museum). Ce dernier a viré au bleu clair, abîmant l'harmonie chromatique. Une reconstitution virtuelle montre l'énorme différence. «Depuis, les œuvres sont stables», rassure le conservateur.
• Des modèles rares
Un nu féminin académique, rarissime, a été repéré dans la couche sous-jacente d'une huile, Vase avec bleuets et coquelicots (1886), appartenant à la Fondation Triton, cette collection qui a récemment défrayé la chronique pour avoir été victime d'un vol au Kunsthal de Rotterdam. D'une manière générale, le nu, et même le modèle habillé, est difficile à trouver pour un Van Gogh désargenté et plongé dans le milieu des petites gens. Lorsqu'il en déniche un, il pose endimanché. Or Van Gogh cherche l'attitude naturelle. D'où la solution de l'autoportrait: au moins vingt-cinq ont été réalisés rien que dans la période parisienne. Il y en a même un qui se cache sous la Vue de l'appartement de Théo (1887).
• Des recettes originales
L'exposition présente une boîte en laque contenant seize pelotes de laine. Van Gogh testait ainsi ses combinaisons de couleurs, à la manière des tapisseries des Gobelins, dirigées par le chimiste Chevreul, l'auteur, très suivi alors, de la Loi du contraste simultané des couleurs. Ou encore, à la manière de Delacroix. Van Gogh conserve aussi des habits et des outils, accessoires pour ses scènes paysannes commencées à l'extérieur et complétées en atelier. Il collecte aussi les nids d'oiseaux, des mousses, des sabots…
• Un acharné du plein air
Les analyses font souvent apparaître dans ses peintures la présence de grains de sable, d'herbe ou de petits fragments de feuilles. Van Gogh travaillait dehors, même par grand vent. Alors, il attachait son chevalet à des piquets de fer enfoncés dans le sol. Pour le dessin il avait fait confectionner un passe-partout «couleur noyer, avec les bords intérieurs en noir». Ainsi, il pouvait maintenir ses feuilles et préjuger de l'effet de son travail lorsqu'il serait encadré.
«Van Gogh à l'œuvre», jusqu'au 12 janvier, Van Gogh Museum. Tél.: + 31 (0) 20 570 52 00.www.vangoghmuseum.nl
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