Par, Alicia Garcia Santana
En me promenant dans le centre historique de la ville de Trinidad, quelqu'un m'a dit qu'il n'était pas nécessaire d'expliquer pourquoi la ville a été déclarée Patrimoine de l'Humanité par l'UNESCO.
C'est vrai : Trinidad enchante parce qu'elle garde ses rues pavées, ses trottoirs de briques ou d’ardoise grise - appelée « bremesa » pour venir comme ballast à bord des navires provenant de Brême, Allemagne -, ses lampadaires de fer, ses demeures aux plafonds très hauts couvertes de bois et leurs énormes grilles en fer forgé depuis lesquelles nous pouvons voir les intérieurs spacieux entourant le patio, le centre fondamental de maisons coloniales, entouré de galeries que protègent les persiennes « à la française ».
Certaines de ces demeures ont, comme l'affirme l'espagnol Ramón de la Sagra « un luxe qui passe à la prodigalité », avec les murs couverts de décorations populaires ou classiques, en accord avec les garnitures soulignant les embrasures, des ouvrages en bois de thèmes néoclassiques datant des premières décennies du XIXe siècle, provenant des États-Unis.
Les demeures de Trinidad concilient différentes influences à la manière créole, sur la base de la maison/patio de racine mudéjar espagnole. Cette architecture historique fonctionne comme la trame d’une population vivante et active, qui offre au visiteur la grâce de ses traditions, de sa musique, de son artisanat, de ses coutumes ancestrales et, surtout, une séculaire hospitalité proverbiale, quand un invité était choyé et dont on prenait soin de façon patriarcale.
Fondée en 1514 - une des premières d’Amérique -, la perception de la ville a une extension temporaire très vaste et ancienne. Elle a été configurée de génération en génération, pierre par pierre, par quelques familles qui ont affronté l'isolement des premiers siècles, les assauts des pirates, le fléau des épidémies et les ravages des ouragans…
Mais elles ont persisté et elles se sont liées définitivement à un site situé dans un paysage spectaculaire, présidé par les montagnes et la mer, des frontières naturelles qui définissent le territoire de la Vallée de los Ingenios, qui était autrefois un des plus puissants centres de production de sucre du pays et qui a été la base de la splendeur architecturale et culturelle de la ville lors de la première moitié du XIXe siècle.
Le sucre était produit avec le travail des esclaves, ce qui a entraîné l'effondrement de cette activité et, avec elle, la paralysie physique de Trinidad qui, isolée du reste du pays par ses montagnes, s’est arrêtée dans le temps. C’est pour cette raison que son silence est agréable, comme la transparence d’un air non pollué, la lumière éclatante qui rehausse les couleurs de ses monuments, la promenade tranquille…
À Trinidad, je me sens comme un extraordinaire témoin de l'époque, dans un de ces espaces choisis pour la beauté de l’œuvre humaine et de la nature. Intellectuellement, avec le fondement de ma perception du patrimoine cubain. Personnellement, comme la ville de mes ancêtres et celle de mes enfants et de mes petits-enfants. C'est simplement un don du ciel.
La Vallée de los Ingenios l'empire cubain du sucre
Par, Raul Garcia Alvarez
Dans la vallée de San Luis, une plaine d’arbres, de plantations, de chemins et de rivières, à côté du massif de Guamuhaya dans le centre-sud de Cuba, la population indigène vivait, cultivait la terre et elle a laissé son empreinte dans la lutte contre les conquistadors espagnols.
Ce cadre naturel d'environ 300 kilomètres carrés, située au sud de la province de Sancti Spiritus, a atteint une notoriété internationale au 8 décembre 1988, quand il a été déclaré Patrimoine de l’Humanité par l'UNESCO.
Le site, un exemple éminent d'une notable période historique et d’un habitat humain traditionnel, a été nommé Vallée de los Ingenios et, actuellement, il conserve les ruines de 12 trapiches (moulins à canne à sucre), des centres de fabrication du sucre du XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles.
Les recherches des équipes nationales et internationales ont permis de découvrir des clochers, des machines traditionnelles, des baraquements, des moyens de travail ainsi que le coût de la souffrance des esclaves africains dans les plantations de canne à sucre.
Là sont présentes les traces des cultures aborigènes, de l’architecture coloniale et des guerres d'indépendance à la fin du XIXe siècle.
Une grande production de sucre
Les habitants de la ville de Trinidad – qui possède également le titre de l'UNESCO – ont été favorisés avec la stratégie de convertir la vallée en siège de petites installations pour produire le sucre.
Des petits ingenios (raffineries) ont été construits et ceux-ci, vers le milieu du XIXe siècle, ont envoyé près d’un million d’arrobas (ancienne mesure d’environ douze kilos) en Espagne, affirme l'historien Carlos Joaquín Zerquera y Fernández de Lara.
Le développement des plantations de canne à sucre et son traitement ultérieur sont dus à l'arrivée - au milieu du XVIIe siècle – de migrants espagnols provenant de Jamaïque qui ont apporté les premiers capitaux pour son extension.
On rapporte que « le sucre apparaît tard » à Trinidad, les premières nouvelles datent de 1663.
Dans les recherches menées par Zerquera y Fernández de Lara dans les Archives des Indes, en Espagne, on constate qu'il y a un acte de jugement pour contrebande dans la ville, où plusieurs saisies sont signalées.
Parmi les accusés se trouve le Lieutenant Gouverneur de la ville, Juan Delgado, propriétaire d'un ingenio à une demi lieue de Trinidad, de sept plantations de canne à sucre et d’une production de miel.
On précise que lorsque Juan Delgado est reparti en Espagne, il a vendu letrapiche Santísimo Sacramento à Antonio Pablo Vélez.
On dit que le nombre d'usines sucrières est connu avec plus de précision en « 1754 lorsque l'évêque Morell de Santa Cruz visite la ville et commente qu'il y en a 25 ».
Deux ans plus tard, selon un document de la Section Onze, Cuba, des Archives des Indes, Trinidad apparaît avec 32 centrales, leurs propriétaires, les installations et les nombres d'esclaves, a précisé l'historien.
La vallée devient un centre de production de richesse pour avoir 41 usines en 1790 et, au milieu du XIXe siècle, on en mentionne 48, avec une production de huit mille tonnes de sucre.
L’intellectuel cubain Manuel Moreno Fraginal, dans son livre El Ingenio, révèle que 700 tonnes de sucre et mille barils d’eau-de-vie étaient produits à la fin du XVIIe siècle.
L’historien signale que dans certains documents de l'époque on parle de 57trapiches mais ce nombre inclut neuf petites installations pour la fabrication de pain de sucre et de miel.
La main-d’œuvre esclave et la modernisation
Zerquera y Fernández de Lara commente que le « boom de sucre » synthétise le processus de la naissante nation cubaine. La colonisation s'efforce de consolider son pouvoir, alors que les premiers nationaux cherchent leur reconnaissance dans la société.
La main-d’œuvre esclave a été le soutient de cette industrie naissante, entre 200 et 300 « Noirs africains étaient la dotation des trapiches ». Des hommes et des femmes qui vivaient mal dans des baraquements et qui travaillaient du lever au coucher du soleil.
Beaucoup de ces hommes expatriés et exploités se rebellaient et rejoignaient les forces mambises pour lutter contre les colonisateurs espagnols à la fin du XIXe siècle.
Ce réveil est aussi étroitement lié aux apports de la modernisation de l'industrie locale et à l'introduction du chemin de fer en 1856, beaucoup plus tôt que dans certains pays d'Amérique.
Les caisses ou barils de sucre concentré étaient transférés de la gare de Magua, dans la vallée, vers le port de Casilda, où ils étaient embarqués.
L’intellectuel ajoute, divers facteurs ont fait baissé la production, l'extraction du sucre de la betterave qui a dévalué le prix, la crise économique mondiale de 1857 et le début de la guerre d'indépendance en 1868.
Actuellement la vallée conserve ce trésor agro-industriel dans les haciendas Buena Vista, Guáimaro, Manaca-Iznaga, la Pastora, San Isidro, Delicias, Magua, Guinía de Soto, Algaba ou Guhachinango, parmi d’autres.
Chaque objet, logement ou ancien trapiche font partie d’un ensemble homme/nature, en harmonie avec la beauté de la vallée qui s’intègre dans ce grand parcours naturel qu'est Cuba.