Discours de M. le président de la République en hommage à Jules Ferry
Paris- Mardi 15 Mai 2012
Toile de Francisco Rivero.
Mesdames, Messieurs,
Ch(è)r(e)s ami(e)s,
Dans l'histoire de la République, les grandes dates, les vraies étapes, les plus sûrs repères dans la marche du temps. Ce sont les lois.
Ici, en cet instant où commence un temps nouveau pour notre pays, je suis venu célébrer deux lois, que nous devons à l'obstination, à la volonté et au courage de Jules FERRY : la loi du 16 juin 1881 relative à la gratuité de l'enseignement primaire ; et la loi du 28 mars 1882 relative au caractère laïque et obligatoire de l'école.
Tout exemple connaît des limites, toute grandeur a ses faiblesses. Et tout homme est faillible. En saluant aujourd'hui la mémoire de Jules FERRY, je n'ignore rien de certains de ses égarements politiques. Sa défense de la colonisation fut une faute morale et politique. Elle doit, à ce titre, être condamnée. Et c'est le grand Clémenceau qui porta en son temps le réquisitoire le plus implacable au nom de la conscience universelle. C'est donc empreint de cette nécessaire lucidité que je suis venu saluer le législateur qui conçut l'école publique, le bâtisseur de cette grande maison commune, qu'est l'Ecole de la République. Nous devons tant à l'instruction publique. Et nous attendons encore tellement de l'école au moment où notre pays affronte de nouveaux défis.
C'est ce message de confiance à l'égard de l'Education nationale que je suis venu exprimer au moment où je prends mes fonctions de président de la République.
L'école comme émancipation. La connaissance, le goût d'apprendre, la jubilation de la découverte, le sens de la curiosité intellectuelle, sont des trésors auxquels l'Ecole a pour vocation de préparer toutes les jeunes consciences, tous les enfants de la Nation.
L'Ecole, comme lieu de la véritable égalité. Celle des chances, celle qui ne connaît comme seuls critères de distinction que le mérite, l'effort, le talent car la naissance, la fortune, le hasard établissent des hiérarchies que l'Ecole a pour mission, sinon d'abolir, du moins de corriger.
Cette égalité impose la justice entre les territoires : comment accepter qu'un enfant ait plus de chances de réussir s'il a grandi ici plutôt que là ? L'Ecole, c'est l'arme de la justice. Et la justice, c'est la mixité sociale. C'est à cette tâche noble entre toutes que l'Ecole se dévoue depuis plus d'un siècle.
Faire de l'Ecole un lieu d'intégration de tous les enfants de la République reste la plus belle de nos ambitions nationales.
Voilà pourquoi j'ai décidé que priorité sera accordée aux écoles des quartiers populaires et à celles de certaines zones rurales.
Lieu de l'égalité, l'école publique est aussi celui de la laïcité.
Elle est le cadre où s'acquiert la liberté de conscience, cette « liberté souveraine de l'esprit ; (...)cette idée qu'aucune puissance ou intérieure ou extérieure, aucun pouvoir et aucun dogme ne doit limiter le perpétuel effort et la perpétuelle recherche de la raison humaine ». comme la définissait Jean JAURES. La confiance dans les ressources de leur propre esprit, et les moyens de trouver ces facultés, de les exploiter, de les développer, de les exercer souverainement : voilà ce que l'Ecole doit apporter à tous ses enfants. Voilà ce que l'Etat doit permettre à l'Ecole d'être.
Par son œuvre de législateur, Jules FERRY a fait de l'école publique ce qu'elle est : un droit. Tous les enfants de France ont le droit d'étudier. Ils en ont même le devoir. Personne ne peut se voir refuser ce droit, nul ne peut s'exonérer de ce devoir. Mais l'Ecole est bien plus que cela. L'école est l'esprit de la République.
Je veux qu'elle retrouve tous les moyens d'être fidèle à sa vocation. Je veux lui rendre sa confiance en elle-même, sa foi dans ses propres capacités, sa volonté d'être conforme à son histoire et à son avenir.
L'Ecole a besoin de réformes. Elle attend aussi de la considération de la Nation et du soutien de l'Etat. Mais elle doit aussi être assurée de ses ressources. On ne peut enseigner correctement sans un encadrement suffisant de nos enfants. C'est la raison de mon engagement à recruter 60 000 personnels sur la durée de mon mandat.
Le 1er août 1879, comme ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, Jules FERRY soulignait la nécessité d'une bonne formation de ceux qui sont appelés à dispenser l'enseignement : « Car savoir est une chose, enseigner ce qu'on sait est une chose bien plus difficile. On peut être un bachelier très éminent et cependant être un très mauvais maître d'école. Cette nécessité d'une préparation toute professionnelle est manifeste pour ces délicates fonctions ».
Comment a-t-on pu renier cette déclaration de bon sens ?
Voilà pourquoi je rétablirai la formation professionnelle des enseignants.
Pour honorer ses missions, je sais pouvoir compter sur le dévouement, le courage, des personnels de l'Education nationale. C'est vers eux que je me tourne, c'est à eux que j'adresse mes premiers mots en tant que président de la République.
Aux professeurs des écoles, aux enseignants du secondaire, aux universitaires, aux chercheurs, à tous les agents -- des plus modestes au plus prestigieux -- à tous ceux qui ont fait le choix de servir la connaissance et d'éveiller les consciences, je veux dire : vous êtes au service de la France.
Je sais la difficulté de votre tâche. J'en sais la grandeur. Les années qui viennent doivent être celles d'une nouvelle hiérarchie des valeurs, au sommet de laquelle la science, l'intelligence, la volonté d'apprendre et de transmettre seront les vertus les mieux reconnues et les plus respectées.
Tant de choses ont changé ! Les conditions du travail de l'enseignant. Les comportements des élèves ou l'irruption de la technologie numérique dans nos vies et dans nos classes. Mais une chose est pérenne : si le savoir n'est pas le monopole du maître, celui-ci garde la responsabilité d'en ordonner le sens.
Et l'Ecole garde toujours cette haute fonction que Jules FERRY lui conférait dans cette même Lettre aux Instituteurs : « (...)préparer à notre pays une génération de bons citoyens ».
Egalité, mixité, laïcité, instruction, apprentissage de la citoyenneté : Tels sont les principes contenus dans les lois dites Ferry.
Ils sont vivants. Ils trouveront toute leur place dans la politique que je conduirai pour que la génération qui vient vive mieux que la nôtre et pour que la promesse républicaine soit scrupuleusement tenue.