"Le" nouveau musée de l'art contemporain n'est pas à Paris, New York ou Bilbao, mais à Ouidah, ville béninoise marquée par l'histoire de l'esclavage.
Faisons un rêve... Dans la ville de Ouidah, au Bénin, tristement célèbre pour les milliers d'esclaves qui y franchirent la "porte du non-retour", embarqués sur l'océan de la traite, imaginons que se crée un musée d'art contemporain, le premier du genre sur le continent. Depuis le 11 novembre, le rêve est devenu réalité. Dans une des rues animées de cette ville de 100 000 habitants avec un taux de chômage de 80 % (ce qui en fait une des plus pauvres du pays), se dresse une magnifique villa afro-brésilienne (au XIXe siècle revinrent à Ouidah les descendants d'esclaves, notamment du Brésil) entièrement restaurée. Elle porte le nom de la famille de commerçants fortunés qui la firent construire en 1922 : Ajavon. Les propriétaires sont convenus d'en confier les murs à la Fondation Zinsou, qui gère le musée pendant trente ans moyennant rénovation totale et entretien.
Ville de tous les patrimoines
Entrons. À gauche, la boutique, au centre, le hall donnant sur jardin, et puis les escaliers menant aux principales salles d'exposition, quasiment une par artiste : treize d'entre eux ont été élus pour cette première sélection, venus de neuf pays d'Afrique et... de Belgique. Ils représentent un dixième de la fabuleuse collection Zinsou, riche de près de mille pièces. Marie-Cécile Zinsou (photo ci-contre), l'aînée des filles de Lionel Zinsou, neveu de l'ancien président de la République du Bénin, préside la Fondation qui porte le nom de cette aventure familiale originale et exemplaire, lancée en 2005 à Cotonou. Aujourd'hui, pourquoi Ouidah ? La famille Zinsou a marqué son histoire, puisque l'arrière-grand-père de la jeune femme a ouvert la première école de la ville au début du XXe siècle.
Le musée incarne d'abord la rénovation d'un patrimoine architectural de toute beauté que l'on devine en se promenant dans les rues cette "ville de tous les patrimoines", comme dit Marie-Cécile Zinsou. Car Ouidah est cette fenêtre très tôt ouverte sur le monde, qui aujourd'hui attire les publics désireux de faire la route du "retour" à l'Afrique d'où ils sont issus. Dès 1992, la ville s'est ornée d'oeuvres d'artistes contemporains, tel Cyprien Tokoudagba, dont les soixante-quatre statues accompagnent la route des esclaves et dont les oeuvres se découvrent dans ce nouveau musée. On peut aussi y admirer le travail de ses compatriotes - Aston (photo ci-contre), Romuald Hazoumé ou Kifouli Dossou -, ainsi que celui d'autres grands noms du continent : Chéri Samba, Soly Cissé, Malick Sidibé, Samuel Fosso... Mais pas seulement, puisque y sont aussi exposées les photos du Belge Jean-Dominique Burton sur les chasseurs Nagô. "Je préfère parler de musée africain d'art contemporain, plutôt que de musée consacré aux artistes africains, sachant qu'il est difficile de donner un ancrage géographique ou national aux créateurs", explique Marie-Cécile Zinsou.
Une Afrique tournée vers le futur
Depuis le début de novembre, c'est l'effervescence à Ouidah : la cloche qui annonce les grands événements a sonné pour l'inauguration, les chefs de villages traditionnels, les notables, les enseignants - un public choyé puisque la Fondation se bat pour faire venir les enfants à la culture - ont été accueillis avant l'arrivée des mécènes et des journalistes pour le vernissage, conduits par des guides formés à la visite. Dans une ville de culture patrimoniale forte, la restauration de la villa donne beaucoup d'espoir. En se projetant, on songe en effet que Ouidah restaurée serait un lieu d'exception où passé et futur se croisent. "Aux visiteurs qui viennent pour l'histoire de l'esclavage, le musée propose une histoire du futur, ils peuvent être frappés par une Afrique qu'ils n'ont pas en tête", espère Marie-Cécile Zinsou. Son complice dans cette aventure d'une Afrique tournée vers le futur est le grand artiste Hazoumé, actuellement exposé au musée Dapper et qui compte parmi les premiers artistes collectionnés par la Fondation Zinsou, tout comme Barthélémy Toguo, artiste camerounais lui aussi d'envergure internationale qui, dans quelques jours, ouvrira lui aussi au public un lieu consacré à l'art qu'il s'acharne depuis des années à construire : Bandjoun Station, au Cameroun. "Jusqu'ici l'Europe venait proposer des manifestations artistiques en Afrique, mais là, pour la première fois, les initiatives viennent d'Afrique, portées par le public africain", conclut Marie-Cécile Zinsou.
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