La rebelle franco-américaine des « Nanas » est à l'honneur dans une galerie parisienne avant une rétrospective au Grand Palais, en 2014. Sa petite-fille, Bloum Cardenas, la raconte sans artifices.
- Par, Valérie Duponchelle
Niki de Saint Phalle, c'est une Nana à elle toute seule. Née Catherine Marie-Agnès Fal de Saint Phalle à Neuilly en 1930, cette artiste franco-américaine est morte en Californie à San Diego, le 21 mai 2002. Belle et sauvage, séductrice et radicale, elle sera la reine de 2014 avec une rétrospective - enfin! - au Grand Palais sous la baguette magique de Camille Morineau, commissaire remarquée de l'accrochage d'«Elles », des expositions «Gerhard Richter » et «Lichtenstein » au Centre Pompidou. Alors que paraît la première biographie en français, Niki de Saint Phalle, la révolte à l'œuvre, signée Catherine Francblin (Éditions Hazan), la galerie Georges-Philippe Vallois a réuni au cœur de Paris ses «En joue! Assemblages & Tirs, 1958-1964» en un prologue époustouflant. Bloum Cardenas, sa petite-fille et héritière du droit moral de son œuvre, nous raconte sa Niki, belle «sorcière à particule ».
LE FIGARO.- Niki de Saint Phalle est-elle incomprise en France?
Bloum CARDENAS.- Depuis toujours, en Allemagne, son travail - et ce qu'il y a derrière - est mieux connu, plus intimement, qu'en France, où son image est occultée par celle, joyeuse, ludique, enfantine des Nanas. Il y a quelques années, nous avons eu une exposition de Niki dans une ville allemande de 20.000 habitants qui a attiré plus de 200.000 visiteurs! Même les Nanas ne sont pas si joyeuses que ça. Elles débarquent comme une armée et sont donc, aussi, terrifiantes, comme le pouvoir qui s'en dégage. Les couleurs que Niki utilise dans les années 1960 sont celles alors du mauvais goût, hyper-criardes et violentes. Le rouge Coca-Cola n'est pas encore partout dans la société comme il l'est aujourd'hui. D'où l'impact immédiat de ces Nanas, aussitôt défendues dans Elle par Maurice Rheims.
On a vu à la Fiac une de ses premières femmes-monstres, Madame ou Nana verte au sac(1968), aux veines noires entre varices et bas résille. Quelle était votre réaction d'enfant?
J'étais fascinée par les Accouchements si clairement narratifs (accumulation d'objets qui forme une femme au travail, comme l'Accouchement rose, 1964, du Moderna Museet de Stockholm, NDLR). Enfant, je voyais défiler chez Niki une cohorte de marchands, artistes, collectionneurs qui ignoraient ce qui, moi, me faisait bouillir. Elle les recevait pourtant devant un grandAccouchementtout en jouets, une des deux seules pièces qui ne bougeaient pas dans ses réaccrochages permanents! J'ai réalisé alors que beaucoup d'hommes avaient tout simplement du mal à les regarder. Ces Walkyries qui ont tout en elles, la vie, l'amour, le jeu, la beauté et la violence, le «gore » cru de la condition féminine. Les enfants comprennent sans sous-titres. Je me souviens d'une petite-fille au Centre Pompidou qui expliquait le poids de La Mariée (1963) à son père, beaucoup mieux que les textes de l'époque. Sa robe comme une camisole de force. Ce n'était pas: «Ils seront heureux et auront beaucoup d'enfants!» C'était beau de voir le père réaliser le sens de l'œuvre en écoutant sa fille.
Cette révolutionnaire qui «fait saigner la peinture » en tirant sur ses toiles est-elle plus américaine qu'on ne le dit?
Malgré son nom paternel qui respire la vieille France, Niki n'a pas grandi ici pendant la guerre, mais jeune débutante à New York pendant l'apartheid. «Élevée comme des bonnes sœurs, mariées comme des pouliches », disait George Sand. Son rapport à la société - les femmes, les Blacks, les rapports familiaux, les mères dévorantes, l'éducation, la consommation - est donc très différent. Quand elle arrive en France après guerre, jeune mère sans ses enfants au cœur du baby-boom, elle débarque en pleine décolonisation dans toute la violence des débats d'alors.
N'est-elle pas l'amazone des «nouveaux réalistes» qu'imite le galeriste des Demoiselles de Rochefort de Demy en tirant sur une toile?
Ce regard américain est souvent oublié dans son œuvre qui met le monde en séries. Niki de Saint Phalle est d'abord une assemblagiste américaine, une expat plus proche de son compatriote Edward Kienholz que d'une Française des sixties. Ils étaient d'ailleurs amis et furent révélés d'abord tous deux en Allemagne. Quand elle a fait des Tirs à Malibu, lui s'amusait à lui charger les 22 LR et à lui passer. Il y avait plus d'amitié avec les «nouveaux réalistes» et Pierre Restany, qui l'ont accueillie, et plus d'intimité avec les artistes américains comme Robert Rauschenberg.
Parlait-elle de l'inceste dont elle a été victime?
Comme toutes les victimes d'inceste, Niki disait des choses parfois contradictoires à différentes personnes à différents moments. Seule constante, elle nous mettait toujours en garde, moi et mes cousines, quand nous étions très jeunes: «Attention à la famille, attention aux amis de la famille… Ce sont les plus proches qui font le plus de mal.»
Quelle image gardez-vous de Niki?
À 40 ans, elle était plus belle que jamais. Je vois la fragilité et la force à travers ses mains, très fines, très belles, très blanches, très douces. S'y dessinaient ses veines. Avec son arthrite infantile, elles se déformaient, se tordaient, puis redevenaient normales. Et ses yeux bleu ciel de «sorcière», comme l'appelait tendrement son amour Jean Tinguely.
«En joue! Assemblages & Tirs, 1958-1964», galerie Vallois (Paris VIe), jusqu'au 21 décembre. Puis à la Fondation Ahlers, à Hanovre, du 1er février au 21 avril.
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