Le Louvre ou l'art de résister
Sous l'Occupation, les œuvres d'art les plus précieuses du musée, La Joconde en tête, ont été cachées aux quatre coins de la France.
- Par,Marie-Noëlle Tranchant
Le tournage du film d'Alexandre Sokourov, Francofonia,en évoquant le destin des œuvres d'art sous l'occupation, rappelle un aspect de la Seconde Guerre mondiale que l'actualité vient de remettre en lumière, avec la découverte dans un appartement à Munich de tableaux pillés par les nazis. La dispersion organisée des collections du Louvre(mais aussi de nombreux trésors du patrimoine européen) est le versant opposé de cette histoire sinistre, un vaste mouvement de résistance contre la spoliation.
Dès 1938, après l'annexion de l'Autriche et l'invasion des Sudètes par Hitler, Jacques Jaujard, sous-directeur des Musées nationaux, et René Huyghe, conservateur en chef du département des peintures et des dessins du Louvre, entreprennent la mise en caisse et l'évacuation à Chambord des œuvres les plus précieuses, La Joconde en tête. Les accords de Munich les font revenir en octobre. Ce n'était que la répétition générale, avant le véritable exode qui commencera en août 1939, à la veille de la déclaration de guerre.
La fuite de Monna Lisa
Tandis qu'on dépose les vitraux des grandes cathédrales et qu'on démonte les fragiles panneaux du retable d'Issenheim, le Louvre prépare caisses et camions. Chambord, avec ses espaces immenses, sert d'entrepôt général, à partir duquel les œuvres seront transportées dans de nombreux châteaux, abbayes ou musées de l'Ouest, du Centre et du Midi.
Pour acheminer les toiles de grandes dimensions de Véronèse, Géricault, Rubens ouDelacroix, l'administrateur de la Comédie-Française, Édouard Bourdet, a fourni des remorques servant à véhiculer les décors. Des agents des PTT sont chargés de soulever les fils téléphoniques et télégraphiques à leur passage, après l'incident survenu à Versailles, où Le Radeau de la Méduse a provoqué une panne d'électricité générale, en accrochant les fils du tramway. Les mouvements sont loin d'être terminés en mai 1940, lors de l'invasion allemande, et les convois se mêlent à l'exode des Français. La Joconde, enfermée dans une caisse à double paroi spécialement conçue pour elle, sera hébergée dans cinq lieux successifs. Après le château de François Ier, elle trouve refuge à Louvigny, puis à l'abbaye fortifiée de Loc-Dieu, en Aveyron, avec quelque trois mille tableaux. Mais les conditions de conservation se révèlent désastreuses.
Les toiles reprennent la route pour le Musée Ingres, à Montauban. Elles auront pour conservateur André Chamson, qui a déjà dirigé l'évacuation vers Chambord, et qui est entré en résistance dans les maquis du Lot. «Nous dormirons une nuit avec La Joconde en cavale», écrit sa fille, Frédérique Hébrard. Car, lorsque les Allemands envahiront la zone libre, en 1942, Monna Lisa fuira de nouveau, pour se cacher au château de Montal, dans le Lot. Outre André Chamson, les grands conservateurs de ce Louvre en exil sont René Huyghe, pour le Sud, et Germain Bazin, pour l'Ouest. 3 690 tableaux ont été ainsi mis à l'abri, en même temps que les sculptures fameuses, laVictoire de Samothrace, la Vénus de Milo , les objets d'art, les joyaux.
Réouverture du Louvre en 1940
Le Louvre déserté rouvre officiellement en septembre 1940. On peut y visiter quelques salles de sculptures antiques ou de la Renaissance française. L'occupant établit aussi un séquestre, interdit aux Français, où les services nazis entreposeront et négocieront des œuvres provenant de collections juives. Mais d'autres sont à l'abri en province avec les trésors du Louvre.
Trésor volé par les nazis : les Alliés abusés en 1946
Nouveau rebondissement dans l'affaire Gurlitt, ce marchand d'art proche des nazis dont on a saisi la collection dans l'appartement munichois de son fils. Vers la mi-1945, les troupes britanniques avaient déjà découvert à Hambourg une collection de tableaux, de dessins et d'objets d'art enregistrés à son nom.
Par, Eric Bietry-Rivierre
Nouveau rebondissement dans l'affaire Gurlitt, ce marchand d'art proche des nazis chez le fils duquel on a saisi 1406 oeuvres d'art à Munich. Nous sommes en mesure d'affirmer que vers la mi-1945, les troupes britanniques avaient déjà découvert à Hambourg une collection de 115 tableaux, 19 dessins et caisses d'objets d'art, masques africains, bouddhas et autres objets précieux. Le tout enregistré au nom de Gurlitt. Etait-ce là le trésor complet de Hildebrand Gurlitt, mort en 1956? Si c'est le cas, celui-ci aurait intensifié son trafic après la guerre. Quels sont les points communs entre cet inventaire et celui de 2012? Les enquêteurs bavarois ne cessent de tisser des liens. La comparaison promet d'être éloquente et pourrait avoir des conséquences dans de nombreuses filières du marché de l'art.
Durant l'été 1946, les alliés transfèrent le trésor saisi chez Gurlitt au centre de rassemblement de biens culturels dirigé par les conseillers de l'armée américaine, en particulier Theodore Heinrich. Les spécialistes américains et allemands dressent un inventaire, tandis que des enquêteurs soupçonnent qu'un certain nombre de ces tableaux aurait été pillé en France, en particulier un Chagall, Scène fantastique, et un dessin de Picasso, Tête de femme.
L'erreur des «Monuments Men»
Quatre ans plus tard, après de nombreuses tentatives,Hildebrand Gurlitt arrive à convaincre les autorités américaines de lui restituer ce qu'il présente comme sa propriété personnelle. La «restitution» à Gurlitt a lieu le 15 décembre 1950. Theodore Heinrich, conseiller culturel à Wiesbaden auprès du Haut Commandement Américain en Allemagne, a signé la feuille de décharge. Heinrich est l'un des «Monuments Men», ce groupe de 345 spécialistes créé par le général Eisenhower qui accompagnait les troupes alliées afin de récupérer les butins réunis par les nazis. George Clooney leur rend hommage dans un film qui conte leur histoire. Ce long-métrage, dont la sortie est prévue le 4 février prochain, se base sur le récit de l'historien Robert Edsel, un best-seller paru en France aux éditions JC Lattès. Rien n'est dit de cette erreur…
Les œuvres listées en 1946 se divisent entre maîtres italiens, français et hollandais ; tableaux impressionnistes français et allemands, et œuvres expressionnistes et abstraites du XXe siècle, en majorité allemandes. L'un de ces tableaux s'appelle Le dompteur de lion, de Max Beckmann. C'est bien lui qui a été retrouvé dans l'appartement du fils Gurlitt, Cornelius, lors de la perquisition du 28 février 2012 parmi les 1405 autres pièces.
Nombreux tableaux de maîtres anciens
D'autre part, plusieurs tableaux peints par le critique d'art Michel Georges-Michel (1883-1985), élève d'Othon Friesz et de Dufy, ami de Picasso, Matisse et Soutine, se trouvent dans l'inventaire de 1946. Que sont-ils devenus? Cornelius Gurlitt pourrait le savoir. De nombreux Georges-Michel ont disparu de Paris après leur saisie en 1941 par l'Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR), l'agence allemande chargée des spoliations entre 1940 et 1944.
Lors de la perquisition de 1946, plusieurs tableaux par Max Liebermann, le grand impressionniste juif allemand, avaient été retrouvés. Si Deux cavaliers sur la plage, a été présenté mardi par les enquêteurs bavarois, où est passé Wagon dans les dunes? Chez les expressionnistes allemands, que sont devenus les tableaux signés Christian Rohlfs (Fleurs jaunes, Fleurs blanches), ou encore Georg Grosz, (Deux femmes et un homme se promenant)? Enfin de nombreux tableaux de maîtres anciens manquent à l'appel, dont un Guardi, Entrée d'un monastère, un Fragonard, Anne et la Sainte Famille ainsi que des paysages attribués à Rombouts et à Ruysdael…
En conclusion, et en l'état des révélations récentes livrées avec parcimonie par les autorités bavaroises, Marc Masurovsky, cofondateur de l'organisation à but non lucratif Conference on Jewish Material Claims Against Germany, avance ceci: «1/Une partie des tableaux expressionnistes allemands provient des collections épurées sur ordre d'Hitler. 2/D'autres proviennent de ventes forcées de biens appartenant à des collectionneurs d'origine juive, persécutés par les nazis dans les années trente. 3/Les tableaux de maîtres anciens pourraient émaner principalement de collections privées comme publiques, tant françaises que néerlandaises, belges ou suisses, vu que Hildebrandt Gurlitt travaillait pour le projet du musée Hitler à Linz (Autriche)».
Il rappelle que Hildebrand Gurlitt avait ses entrées auprès des marchands français et des milieux allemands coordonnant le pillage des collections juives en France. Pour les convoyages, son contact est Theo Hermsen, spécialisé dans l'exportation de biens… sans permis d'exportation. Bruno Lohse, le représentant de Goering en France, pourrait être un autre complice, car celui-ci a emporté en Allemagne des dizaines de tableaux impressionnistes du Jeu de Paume, lieu central à Paris de la collecte nazie. Il s'en est servi après la guerre pour monter sa galerie. Gurlitt était-il toujours en affaires avec lui?
Gurlitt est aussi un proche d' Adolf Wuster, conseiller culturel de l'ambassade du Reich à Paris, coordonnateur des saisies de certaines collections juives dont celle de Paul Rosenberg (le grand-père d'Anne Sinclair). Après 45, les deux hommes auraient pu rester en contact. Ceci expliquerait que les tableaux de Matisse mentionnés dans la presse ces derniers jours ne figurent pas sur l'inventaire des œuvres rendues à Gurlitt par les Américains en 1950. A moins que Gurlitt ait eu d'autres planques que celle découverte à Hambourg.
Juste après la guerre, le capitaine Doubinsky a été à Munich le représentant de l'historienne d'art résistante et grande «récupératrice d'œuvres» Rose Valland (Suzanne Flon l'incarne dans le film Le Train de John Frankenheimer). En janvier 1947, il a demandé aux Américains de rouvrir une enquête sur Hildebrand Gurlitt qu'il considérait comme «un cas très spécial». Fait anodin par exemple, Gurlitt avait acheté un Picasso…. chez Picasso lui-même en 1942. Le dossier est demeuré fermé, jusqu'à ces jours-ci.
Dans le livre à sortir le 13 novembre Œuvres volées, destins brisés, de Melissa Müller, Monika Tatzkow et Marc Masurovsky, Hildebrand Gurlitt est cité dans le scandale de Légende du marais de Klee, une œuvre qu'il achète à bas prix en 1940 à une famille juive.
Nazis: 1500 tableaux volés retrouvés
Près de 1.500 tableaux de maîtres, dont des Picasso, Matisse et Chagall, propriétés de collectionneurs juifs confisquées par les nazis ou vendus par des juifs persécutés, ont été découverts dans un appartement à Munich (sud), affirme un journal allemand.
Le parquet d'Augsburg (sud), compétent dans cette affaire, cité par l'agence de presse allemande dpa, n'a pas voulu commenter cette information divulguée par l'hebdomadaire allemand Focus.
Selon le journal, ces tableaux de grands maîtres du XXème siècle, dont les Allemands Emil Nolde, Franz Marc, Max Beckmann et Max Liebermann, sont estimés à environ un milliard d'euros. Ils étaient entreposés dans l'appartement d'un octogénaire. D'après Focus, le père de l'octogénaire, un collectionneur, avait acheté ces tableaux dans les années trente et quarante. Ces oeuvres avaient été soit confisquées par les nazis à des juifs et revendues ensuite, soit vendues à bas prix par des juifs en fuite. Ou encore confisqués par les agents du Troisième Reich parce qu'étant considérés comme de "l'art dégénéré" --par opposition à l'art officiel prisé par Hitler-- et revendus également ensuite par les nazis.
Pendant près de cinquante ans, le fils avait gardé ces tableaux dans des pièces sombres de son appartement. Au fil des ans, il les avait vendus et avait vécu du fruit de ces ventes. Parmi les oeuvres découvertes, se trouve un tableau d'Henri Matisse qui avait appartenu auparavant au collectionneur juif Paul Rosenberg, forcé d'abandonner sa collection lorsqu'il avait fui Paris, écrit Focus.
Trésor nazi : le gouvernement allemand souhaite la transparence
- Par,Nicolas Barrote
Le ministre des Affaires étrangères Guido Westerwelle met en place la diffusion d'une liste des œuvres non identifiées retouvées à Munich.
À défaut d'une exposition, il y a une liste. Le détail des 1406 œuvres retrouvées dans l'appartement munichois de Cornelius Gurlitt était pour l'instant tenu secret, dans l'attente de connaître leurs propriétaires légitimes. Mais la pression politique, médiatique et culturelle a poussé la justice allemande à publier une liste des œuvres non identifiées. «Nous voulons l'inciter», a déclaré lundi le porte-parole du gouvernement Steffen Seibert. «Il faut trouver une procédure légale», a-t-il ajouté prudemment. Une première liste de 25 tableaux parmi ceux retrouvés à Munich a été dévoilée sur le site Lostart.de(cf. fin de l'article). Le gouvernement allemand avait connaissance du trésor depuis plusieurs mois.
L'opération n'est pas simple à organiser. Les autorités allemandes craignent d'être submergées de revendications. La médiatisation «n'aide pas» le travail d'enquête, avait expliqué la semaine dernière le procureur d'Augsburg, Reinardt Nemetz, en déplorant la révélation du trésor par le magazine Focus . Mais dès lors, il était devenu impossible aux autorités de conserver le secret.
22 nouvelles œuvres retrouvées
Les héritiers de Juifs spoliés par les nazis veulent voir reconnaître leurs droits. Le Congrès juif mondial a exigé ce week-end des informations de la part du gouvernement allemand. Son président, Ronald Lauder, a notamment demandé à ce que les œuvres soient visibles via Internet, pour qu'elles puissent être identifiées. Le message a été entendu. «Nous ne devons pas sous-estimer la sensibilité du sujet», a expliqué lundi le ministre des Affaires étrangères Guido Westerwelle. «L'exigence du moment, c'est la transparence», a-t-il ajouté.
Malgré les critiques, l'enquête se poursuit. Ce sont 22 nouvelles œuvres qui ont été découvertes chez le beau-frère de Cornelius Gurlitt. Celui-ci, qui est toujours soupçonné de fraude fiscale, pourrait retrouver la propriété d'une partie des œuvres. Certaines ont en effet été vendues légalement par les musées allemands sous le régime nazi à son père, le collectionneurHildebrand Gurlitt.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire