vendredi 22 juillet 2011

Des Nordiques à Cuba !

Une colonie suédoise à Cuba !

Par Jaime Sarusky Traduit par Alain de Cullant

Pour moi qui suivais les phénomènes de l'immigration, surtout dans l'Île, ceci, plus qu’une nouvelle, était une découverte insoupçonnée. J’avais déjà publié un travail sur une colonie de Nord- américains et je projetais d’en publier d'autres, sur les communautés conformées par des Japonais, des Hindous et des descendants mayas venus du Mexique.






Nous savons qu’a Cuba se sont fondus et entremêlés des sangs et des cultures européens, africains, asiatiques et américains, mais suédois ! Cela me paraissais inhabituel et même surprenant. Bien qu'en faisant des recherches sur d’autres traces de Nordiques qui ont précédé celles de Bayate, nous trouvons le botanique Olor Swartz, un disciple de Linneo, qui a séjourné à Cuba et d'autres îles des Caraïbes entre 1784 et 1786 ; il y a aussi Fredrika Bremer et Jenny Lind, lors des premiers mois de 1851, une rencontre heureuse à La Havane de deux notables figures de la culture suédoise. L'arrivée de Fredrika Bremer est passée presque incognito, pour ne pas dire qu'il y ait eu une comédie d'intrigue par certains côtés, car un journal havanais de l'époque, dans la relation de passagers arrivés au port en provenant de Nouvelle Orléans, il l’a confond avec un gentleman : M.F. Breuer, sans doute à cause du fait inhabituel qu'une femme voyage seule en cette époque.

Ses impressions de Cuba, qui l’a ébloui pour les attraits de la nature, et qui l'a aussi affecté pour les opprobres du régime esclavagiste, ont été consignées dans une correspondance avec sa sœur en Suède et qui a été rassemblée dans un volume et publiée sous le titre de Lettres depuis Cuba .

La critique et le public ont parlé de la merveille des quatre présentations qu'a offert Lind à La Havane, non seulement pour sa voix unique et ses dons artistiques, mais aussi par l'échantillon de générosité qu'elle a donné, faisant don du montant de son dernier concert à plusieurs institutions caritatives.

Le cas d’Eric Leonard Ekman est distinct, il a mis toute son érudition dans la sphère des sciences naturelles, au service de la connaissance de la flore de Cuba, d’Haïti et de République Dominicaine. Une personnalité extraordinaire qui a sans doute été la figure cime de la communauté scandinave, et à qui nous consacrons un grand espace ici, dans cette chronique qui essaye, d'une certaine façon, de rassembler l'histoire d'une aventure, celle des Suédois à Cuba.

Cela me résultais un défi et un stimulant de pénétrer dans les recoins et les labyrinthes de cette expérience sociale des les Antilles, connaître ses sources, comprendre comment et pourquoi la croissance et le développement de cette communauté s'est produite. Une communauté qui, en certains moments de son évolution, est arrivée à atteindre entre deux cent cinquante et trois cent membres. En outre, je sentais de la curiosité pour savoir comment ils se sont insérés et adaptés à un milieu si différent, et par conséquent, comment ils parvenaient, dans la vie quotidienne, à maintenir vivantes leurs coutumes et leurs traditions, leur langue et leur cuisine, leurs outils de travail et leurs croyances religieuses, en fin, toutes les expressions de leur culture. Rechercher ce qui se diluait dans le grand torrent de la nouvelle réalité. Il m’est avéré aussi intéressant de confronter en quelle mesure ils assimilaient cette nouvelle réalité, s'ils ont coexisté ou s’ils ont surpassé les contradictions qui émergeaient de leur organisation sociale, beaucoup plus avancée économiquement et socialement, plus sophistiquée dans sa technologie et dans le niveau scientifique ; explorer jusqu'à quel point ils pouvaient harmoniser de telles évidences avec l'environnement, typifié par le retard, la pauvreté et l'instabilité politique.

Je conterais, non pas cette histoire – car il ne s’agit d’une seule, ni d’une unique –, mais les nombreuses péripéties, épisodes et événements, exceptionnels ou courants, dans de nombreux cas de leurs propre vois, et l'énergie, les joies et les mélancolies de ses protagonistes. Les mêmes qui en grande mesure ont contribué à ce que cette œuvre soit : un témoignage singulier et à la fois original, une mémoire et un décompte des nombreux qui ont ensuite construit et ont raconté la vie de ce conglomérat si peu connu à Cuba et en Suède elle- même. Tout ceci sans faire une abstraction des recherches que j'ai pu réaliser dans les bibliothèques et les archives des deux pays et les dizaines d'entrevues qu’il a été nécessaire de faire dans les villes, les villages et les centrales sucrières, de l’intense bibliographie que j'ai dû consulter et des nombreuses institutions et personnes qui ont soutenu ce projet et sans l'aide décisive desquelles ce livre serait une réalité.

Je ne nie pas qu'il y avait un facteur qui stimulait grandement mon intérêt dans l'affaire, simplement parce que la Suède ne m'était ni étrangère, ni inconnue, car je gardais des souvenirs de mes expériences dans ce pays durant le printemps et l'été 1957, dans ce qui a été une parenthèse agréable durant mes études de Sociologie de l'Art et de la Littérature Française Contemporaine que je suivais à la Sorbonne. Donc, d'une certaine manière, ce que nous pourrions appeler un souvenir plaisant, a impulsé la volonté et le bon esprit d'entreprendre une recherche sur cette communauté. Il y avait en outre un antécédent immanent : le fait d'avoir découvert Omaja, pour ma satisfaction comme journaliste et écrivain, un après- midi de février ou de mai 1970.





Toile de Francisco Rivero. Stockholm



Omaja était un petit village assoupi, ressemblant à un décor bien réalisé d'un western hollywoodien : des bungalows dispersés ici et là, des rues poussiéreuses et accidentées, dans les faubourgs, proche du cimetière avec des pierres tombales portant des noms de famille saxonnes, ainsi que nordiques – Mahan, Kreider, Christiansen, Rilpin, Keskisen – un temple de bois méthodiste, déjà à moitié gangrené, d’un aspect identique à ceux du sud des Etats- Unis. Pour compléter cette image si bizarre de ce qui a été, effectivement, une colonie nord- américaine durant les premières années du vingtième siècle, il manquait seulement qu’apparaisse soudain, à l’angle de la rue principale, face à la gare ferroviaire, Billy the Kid pour se battre contre six rivaux bien armés.
Dans ce même endroit prospérait – bien que je l’aie su postérieurement – une colonie finlandaise, avec des tintes de phalanstère, conformée par des gens ayant des idées semblables à celles du socialisme utopique. De même, on n'a pas clarifié le doute si une colonie suédoise a vraiment existé là, une des quatre ou cinq qui ont existé ou ont essayé de s’organiser à Cuba durant les premières années du vingtième siècle.

C’est à ce moment que sautent devant moi deux lignes d' Historia de Cuba dans lesquelles l'auteur affirme que, dans la province d'Oriente, quelques familles norvégiennes et russes dédiées à la culture d'agrumes s'y étaient établies. J'ai commencé mes recherches et quelques jours plus tard le prestigieux géographe Pedro Cañas Abril confirmait le fait : cette colonie, avait certainement existé, bien qu'il ait rectifié qu'elle était composée de Suédois dans sa majorité et qu'elle s’était installée dans le village de Bayate de Miranda et dans ses alentours.

Ensuite, en 1972, j'ai contacté le professeur Fernando Boytel, un bon connaisseur du conglomérat nordique et de certains de ses membres. Cet homme était un sage qui se distinguait autant par son érudition que par sa simplicité. Nous avons parcouru ensemble les territoires de ce centre agricole, les fermes et les maisons qui avaient appartenu à l'origine aux Suédois. Et j’ai fait la connaissance de Carlos Augusto Novell, avec qui j’ai alors soutenu la première d'une série d'entrevues car, parmi d'autres raisons, il s'agissait de l'un des derniers survivants de la communauté entre ceux qui étaient nés et vivaient encore dans l'Île.

Plus tard j’ai rendu visite à Línnea et Silvia Nystrõm dans leur maison de Bayamo. Elles étaient les filles de Johan August Nystrõm, un pionnier et, sans doute, un des plus notables membres de cette communauté.

Une des caractéristiques distinctives qui se soulignait dans la forte personnalité de ce Suédois était de posséder une solide conscience de l'importance de cette colonie qu'il avait contribué à édifier. La meilleure preuve a été ses récits avec l'intention de raconter l’histoire de cette colonie et de ses gens, et surtout les nombreuses photographies qu'il a pris, toutes d'une haute valeur testimoniale et documentaire, et qui Silvia et Linnea et sa fille Martha Fadhel ont mis à ma disposition avec une générosité et un décollement admirable.

Toutefois je dois admettre que, dans une première phase, l'absence de documentation m'a située dans une position très précaire pour pénétrer les origines et le développement de cette communauté. J'ai ensuite eu la fortune de trouver, dans les archives de l'Institut pour l'Émigration, à Vãxjõ, en Suède, l'information essentielle pour connaître comment elle s’est initiée, comment ont été les premiers pas et comment s’est développé ce conglomérat.







Postérieurement je me suis entretenu avec Rodolfo Arbella, Axel Berge et Gunnar Nelson, en Suède, et avec Margarita Arbella, à Barcelone. Les quatre sont nées et ont été élevés à Bayate ; les quatre sont dotés d’un esprit et d'une mémoire enviables ; les quatre sont vitaux, loquaces, ils ont rappelés Cuba, leur enfance et leur jeunesse dans cette île verte et bleue, avec une émouvante et agréable nostalgie.



À Cuba sont restées, ensuite, dispersées dans sa géographie, les empreintes du travail et de la créativité, du sang et de la science suédoise. Des noms font déjà partie de sa toponymie, comme los Cauchales de Nelson ou la Güira de Reinholdt ; des fleurs et des plantes qui portent l'appellation scientifique d'Ekman en hommage au brillant botanique. Et, surtout, ces traces subsistent dans le sang mêlé des nouvelles générations – la quatrième - des descendants de ces pionniers qui ont ouvert le chemin et qui ont lié spirituellement, matériellement et culturellement les Suédois et les Cubains.









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