Julio Le Parc, retour en pleine lumière
Julio Le Parc dans son atelier à Cachan. Crédits photo : FRANCOIS BOUCHON
Par, Valérie Duponchelle
INTERVIEW - L'artiste phare de l'art cinétique parle avec lucidité de notre monde contemporain. Rencontre dans son atelier à Cachan, juste avant sa double actualité au Palais de Tokyo et au Grand Palais.
- Comment réagissez-vous quand on vous présente comme un jeune artiste argentin à Paris, après cinquante ans d'exil?
Julio Le Parc. - Je le vis très bien! Je suis né en 1928 à Mendoza, en Argentine. Je suis venu à Paris en 1958. Depuis tout petit, on m'a appris à m'adapter aux différentes situations, profitant des favorables, faisant évoluer les mauvaises. Je profite de cette joie. Je ne veux pas faire une exposition qui magnifie une période et automatise un style. Je veux rester dans l'expérimentation, que l'ensemble de l'exposition soit comme une nouvelle œuvre.
Le public, aguerri aux installations de l'art contemporain, est-il plus réceptif aujourd'hui à l'art cinétique et à l'expérience dans l'art?
Le public a toujours la même capacité de voir, de comparer, d'apprécier, quels que soient les modes et les nouveaux moyens de communication apparus dans la société depuis les années 1960. Mais la nature humaine est la même que toujours. Si les choses présentées ne sont pas exigeantes, dominatrices, ne mettent pas le spectateur en position de soumission, la nature de l'homme peut s'exprimer.
Où voyez-vous de la soumission en art?
L'art contemporain, qui s'est développé depuis les années 1960, est fondé sur la rareté, sur l'idée de futur où là seulement il sera compris. On fait référence au décalage entre les impressionnistes et leur appréciation tardive en France. Même cercle pour les cubistes. L'art tel qu'il est conçu en général dans l'actualité continue à avoir les mêmes ressorts. Dans la production actuelle, beaucoup reste incompréhensible au spectateur si l'artiste ou son entourage n'explique pas ce que l'on voit. C'est déjà une première exigence qu'obliger le public à lire les textes sur les murs et les catalogues ensuite. Pour moi au contraire, le contact direct avec l'art est le principal. Est-ce de l'art parce que tout le monde reconnaît que c'est de l'art? Ou parce que l'artiste dit que c'est de l'art? Galeristes, critiques, tous se succèdent pour délivrer un cachet d'art. Le dernier étant celui qui achète et valorise l'œuvre.
N'est-ce pas la source de l'engouement du public pour les grandes expositions de peinture, Matisse, Hopper, Dali?
Oui, sans doute. Mais c'est un mouvement rétrospectif. Peut-être aussi que, dans ces lieux publics que sont les musées, le public peut inventer davantage et réveiller son potentiel de réflexion inutilisé par tous ces codes de lecture. Avec mes amis du Groupe de recherche d'art visuel, dans les années 1960, notre idée était d'aller vers le spectateur de la manière la plus simple, la plus directe et la plus sensible, en coupant court à tout ce qui créait cette soumission du public vis-à-vis de l'art et de l'artiste et qui le maintenait, en fait, éloigné de la création.
Art et argent, désormais même combat?
Une grande partie de l'art contemporain est un produit financier, acheté d'ailleurs par des financiers qui détiennent le pouvoir d'achat déterminant. Un art sélectionné selon leurs codes propres qui rentre souvent ensuite dans des fonds d'investissement ou dans des circuits fermés. Un art élu par ceux-là même qui peuvent acheter des lieux pour l'exposer et ainsi convaincre du bien-fondé de leur choix. En faisant des placements sur l'art, tout est faussé. Il faut ensuite qu'il soit bon, à tout prix.
Quel que soit le système dominant, les artistes ne sont-ils pas toujours à contre-courant?
Si, bien sûr. Je pense que beaucoup des artistes reconnus par l'actualité deviendront les pompiers du futur, comme leurs ancêtres du XIXe siècle. Nous, nous n'attendions pas tout ce succès sonnant et trébuchant. Notre seul intérêt, c'était d'obtenir le temps libre pour créer. Rien ne sert d'avoir de grandes idées en tête. Si elles ne sortent pas des mains, elles restent de la théorie floue et froide. L'artiste prend l'habitude de ne rien faire en pensant qu'il peut tout faire. C'est l'éternel grand tableau que l'on va peindre demain.
Vos rencontres clés?
La précision magnifique de Vélasquez, quand j'étais adolescent à Buenos Aires, et la puissance visuelle immédiate de Victor Vasarely, que j'ai rencontré en 1958, dès mon arrivée à Paris.
Critique: en solo ou en famille
Julio Le Parc sera l'homme du printemps. Le Palais de Tokyo lui confie un grand espace de 2 000 m² - la Grande Verrière, la Travée, l'Alcôve et l'Alcôve du Midi - du 27 février au 13 mai. Pas une rétrospective, une exposition monographique intensément visuelle qui ira des pièces historiques aux dernières toiles tout juste achevées dans l'atelier de Cachan.
Pour ce portrait in situ du précurseur de l'art cinétique et de l'Op Art, seront reproduites à une échelle spectaculaire ses fameuses œuvres de lumière, souligne la commissaire Daria de Beauvais. Par exemple, son Continuel lumière cylindre (1962), qui fait 2 m de diamètre à l'origine, mesurera quelque 6 m de diamètre au Palais de Tokyo. Des mobiles sont réalisés spécialement en Argentine pour ce rendez-vous changeant qui entend garder la poésie du hasard. Julio le Parc est l'artiste des expériences: grâce au rhodoïd métallisé miroir et aux plaques courbes réfléchissantes, les images formées sont liées au déplacement du spectateur dont le mouvement accélère le changement. L'œil du spectateur est pris dans des suites de motifs noirs et blancs et de miroirs.
Un grand Déplacement couvrira le mur d'entrée dans l'exposition de son réel effet cinétique. Le lieu même qu'est le Palais de Tokyo avec son parfum de friche urbaine lui est prédestiné. La scénographie originale jouera sur des alternances de zones obscures et lumineuses, avec des œuvres flottant dans l'espace: une expérience sensorielle alliant lumière, énergie et mouvement. Du 10 avril au 22 juillet au Grand Palais, Serge Lemoine le resituera avec «Dynamo!» dans «Un siècle de lumière et de mouvement dans l'art, 1913-2013». Moteur?
Julio Le Parc, Palais de Tokyo, 13, avenue du Président-Wilson (XVIe). Tél.: 01 81 97 35 88. Horaires: 12 h-minuit. Tlj sauf mardi. Du 27 février au 13 mai. Cat.: monographie chez Flammarion.
Joie d'une rencontre avec l'artiste plasticien Julio le Parc, lors de l'inauguration de la Triennale de Paris.
Ce fut pour moi un grand plaisir de le saluer. J'ai pu lui exprimer ma reconnaissance, car son œuvre a nourri pendant ma jeunesse ma passion pour les arts plastiques, et ma vocation de peintre professionnel.
Je me suis souvenu de la première peinture que j'ai réalisée sur le plafond de la chambre que j'occupais dans la maison de mes parents à la Havane. Cette peinture avait été inspirée par l'art cinétique de Le Parc.
Ces retrouvailles magiques ont eu lieu au milieu des dessins de W. Lam, personnalité qui, parmi d'autres, a favorisé la présence, pour la première fois hors de France, du Salon de Mai à la Havane. C'était en 1967.
Je me suis souvenu de la première peinture que j'ai réalisée sur le plafond de la chambre que j'occupais dans la maison de mes parents à la Havane. Cette peinture avait été inspirée par l'art cinétique de Le Parc.
Ces retrouvailles magiques ont eu lieu au milieu des dessins de W. Lam, personnalité qui, parmi d'autres, a favorisé la présence, pour la première fois hors de France, du Salon de Mai à la Havane. C'était en 1967.
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