samedi 23 mars 2013

Le jardin de Monet




Toute une vie dans le jardin de Monet 






S'il a transmis son savoir aux dix jardiniers qui travaillent avec lui, certains depuis quinze ans, personne ne possède, comme Gilbert Vahé, les secrets du jardin de Monet. (Gilbert Vahé)
S'il a transmis son savoir aux dix jardiniers qui travaillent avec lui, certains depuis quinze ans, personne ne possède, comme Gilbert Vahé, les secrets du jardin de Monet. (Gilbert Vahé)


 Par, Ariane Bavelier



Pendant 35 ans, Gilbert Vahé s'est attaché à rendre à Giverny la beauté que lui avait donné le maître de l'impressionnisme. Il prend sa retraite le 1er juin. 

(Fondation Claude Monet)
(Fondation Claude Monet)

Quel est le comble du jardinier? Se mettre tout nu devant ses tomates pour les faire rougir, bien sûr ! S'il le fallait Gilbert Vahé n'hésiterait pas. Cet homme qui vient de passer 35 ans de sa vie à récréer le jardin de Monet à Giverny explique à lui seul l'excès de dévouement et de passion qu'exige ce métier. Comme Monet, Vahé est au jardin tous les matins dès six heures. L'aube est l'heure la plus belle, jure-t-il, «quand le bleu de la nuit vire doucement au rose, irisant les plantes qui gouttent encore du voisinage de la Seine et de l'Epte ». Il fait son tour, arrache une fleur fanée, surveille la course du temps sur les fleurs éphémères, photographie semaine après semaine l'évolution des 56 massifs.
Giverny est toute sa vie, cela s'est fait sans qu'il y songe. Il a passé plus d'années entre les murs du jardin d'eau et du clos Normand, devant la maison rose du peintre, et qu'il n'a vécu ailleurs. Dix fois sa femme a pensé au divorce: lorsqu'elle réservait des billets d'avion pour l'arracher au jardin et qu'au dernier moment, il choisissait de rester. «Comment faire ce métier sans se donner à fond? C'est une question d'honneur !», lâche-t-il.
Elle déteste Claude Monet qui hante son mari. Quand Vahé est arrivé à Giverny en 1977, le maître de l'impressionnisme était mort depuis 50 ans. Ce jardin, Georges Truffaut, après une visite au bras du peintre, le décrivait dans la revueJardinage en novembre 1924 comme «la plus belle œuvre de Claude Monet, celle qu'il savoure avec volupté depuis quarante ans et qui lui a donné ses joies les plus grandes». À l'arrivée de Vahé, il ne restait plus rien. Une forêt vierge dans le clos Normand. Le pont effondré, la glycine en vrac par terre, les berges détruites dans le jardin d'eau dévasté par les ragondins.
Georges Van der Kemp, alors conservateur en chef au château de Versailles , s'apprêtait à quitter le Roi-Soleil pour ressusciter Giverny. «Quand il m'a proposé un poste à Giverny, j'ai pensé que je resterais un an, raconte Vahé en riant. Qu'est-ce que je pouvais avoir à faire avec ce mondain royaliste, moi qui avais lancé des pavés en 68?» Il se souvient de leur premier entretien à Versailles. «Ensuite, j'ai adoré travailler avec lui. Ensemble, nous avons créé deux jardins au Japon dédiés à Monet.»

             Un œillet rouge chaque matin à la boutonnière 

(Gilbert Vahé)
(Gilbert Vahé)
Van der Kemp a deux passions: la peinture et les fleurs. Il leur donne libre cours à Giverny pour essayer de comprendre le jardin de Monet. Vahé apprend à lire ses élans et jugule ceux qu'il juge déplacés. «Il y avait une génération d'écart entre van der Kemp et Monet. Van der Kemp voulait mettre des fleurs doubles, précieuses, qui allaient avec son côté dandy mais n'avaient rien à faire à Giverny. Il m'a aussi mené une guerre de trois ans pour avoir un œillet rouge chaque matin à sa boutonnière. Je n'en voulais pas dans le jardin. J'ai fini par en mettre une tablette dans les serres pour qu'il me laisse tranquille !»
Le travail de recréation du jardin, mené pendant dix ans, se pilote à l'instinct. Monet se devine mais il n'a rien laissé. «On a interrogé ses descendants, ses amis, ses photos, ses tableaux, dit Vahé. Retrouvé la description du jardin par Truffaut, des lettres de Monet précisant, avant un déplacement, quoi et comment planter. Mais ce travail de recherche ne donnait rien d'assez précis. Nous comprenions seulement que Monet devait marcher à la sensation.» Le jardin d'eau s'apprivoise facilement. C'est lui que les promeneurs photographient aujourd'hui encore. L'énigme, c'est le Clos normand: 9175 m2 face à la maison, des couleurs en taches, en reliefs, en hauteurs, sans cesse réinventés par la lumière et un paysage que chaque saison métamorphose, débutant en avril à 30 cm avec les tulipes jusqu'à culminer à l'automne à 3,50 m. «La palette du peintre», dit Vahé en guise de définition. Il la reconstitue, dans des massifs qui font courir les couleurs froides aux couleurs chaudes, du bleu au jaune, avec des cônes plutôt que des lignes et des touches claires dans les zones d'ombre.
(Gilbert Vahé)
(Gilbert Vahé)
Une photo l'intrigue: celle de Monet dans la grande allée de 53 mètres, des capucines sous les pieds, des tournesols au dessus de la tête. D'instinct, il devine que le peintre a choisi de se faire immortaliser ici, dans ce décor qui traduit sa relation à la nature. Vahé voyage jusqu'en Italie, jusqu'aux jardins Moreno à Bordighera qui avaient ravi Monet en 1883, l'année où il s'installe à Giverny: «C'est tellement touffu, c'est délicieux à voir», écrit le peintre. Assis dans ce paysage mité par les constructions, Vahé retrouve par bribes le sentiment d'immersion éprouvé par le peintre, «cette impression d'être une poussière de rien du tout dans la création. J'avais connu ça à Madagascar, sur une pirogue chavirée entre les sommets et gouffres liquides d'une tempête», dit Vahé qui malgré son contact avec l'immensité ne lésine pas sur les détails.

            «Je taille les feuilles au ciseau»  


(Gilbert Vahé)
(Gilbert Vahé)
Un jour que Maurice Tiollat, son professeur à l'École d'horticulture de Versailles, vient visiter Giverny, il interroge Vahé sur cette espèce de capucines toutes en fleurs qu'il n'a jamais vues. «Mais je fais comme M. Monet, je taille les feuilles au ciseau pour dégager les fleurs», rétorque Vahé. «J'avais recommandé Gilbert à van der Kemp parce que je savais qu'il était assez passionné pour mener l'entreprise», dit Tiollat. Il a tout retrouvé: la taille invisible des arbres, les rosiers-lianes de la Belle Vichyssoise que Monet faisait grimper aux piliers de l'allée. Surtout, il n'a rien simplifié, respectant le cahier des charges du peintre qui préférait les plantes éphémères qu'il faut renouveler toutes les trois semaines aux bisannuelles qu'on plante pour 22 semaines dans tous les jardins de France»
S'il a transmis son savoir aux dix jardiniers qui travaillent avec lui, certains depuis quinze ans, personne ne possède, comme Vahé, les secrets du jardin de Monet. Il a voulu partir cette année, fatigué de faire de la paperasserie et convaincu qu'une vie de jardinier ne peut pas se plier aux 35 heures. «Le remplacer est sûrement la tâche la plus délicate de mon mandat. Giverny n'est pas Versailles ou Vaux le Vicomte dont les dessins reposent dans les archives depuis Le Nôtre», analyse Hugues Gall, directeur de la Fondation Claude Monet à Giverny. Pour lui succéder, il a choisi de James Priest, jardinier anglais de 53 ans. Vahé restera trois ans comme consultant. «J'espère qu'il rédigera enfin le livre où il consignera son savoir unique sur le jardin», espère Hugues Gall. Vahé y songe distraitement. Il voudrait plutôt se remettre à la peinture. Avant Monet, il peignait.














1 commentaire:

  1. Très belle histoire de Gilbert Vahé et Giverny le jardin de Monet. Cette histoire témoigne d'une grande passion, pour le jardinage et pour Monet, ce peintre impressionniste.
    Plus d'infos sur le paysagisme sur : http://architectesdejardins.fr/

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