lundi 8 octobre 2012

Edward Hopper, plan américain




À travers son œuvre, c'est l'Amérique qui défile. 
La rétrospective au Grand Palais 
est le happy end d'un véritable road movie.



C'est une magistrale rétrospective Edward Hopper qui s'annonce au Grand Palais.
 Du 10 octobre 2012 au 28 janvier 2013.


Hopper, le peintre de l’Amérique de la classe moyenne,
Hopper, le chantre de la solitude dans la ville moderne.


Pour réunir ses chefs-d’oeuvre, le commissaire de l’exposition, Didier Ottinger, a parcouru les États-Unis jusqu’au fin fond du Middle West.
Grand, mince, l’allure alerte d’un héros de western, le directeur adjoint du Centre Pompidou raconte son épopée : « Edward Hopper n’a laissé que cent tableaux.

Or, son plus fidèle amateur, Stephen C. Clark, va disperser sa collection dans différents musées du pays, histoire de chanter partout le talent du maître ! » Pour monter son exposition, Didier Ottinger contacte donc ces établissements. Première difficulté : ils se montrent tous réticents à l’idée de se séparer de leur tableau de Hopper durant plusieurs mois.
C’est leur Joconde. Autre écueil, la plupart de ces musées exposent de l’art américain essentiellement. Ils n’ont rien qu’on puisse leur échanger. Impossible de pratiquer les transactions habituelles entre institutions d’envergure internationale : « On vous prête notre Picasso, vous nous confierez votre Matisse. » Que faire ? Une seule solution : « Mouiller sa chemise ! », comme dit Didier Ottinger. Autrement dit, se rendre sur place. Et prêcher la bonne parole. Le voilà on the road, à courir de musée en musée




"New York Office", 1962

Commenté par Pierre Lescure, journaliste et directeur du Théâtre Marigny

« Ce tableau réunit tous les fondamentaux qui nous touchent chez Hopper. L’éclairage qui dit à peu près tout. Une lumière violente – laquelle vient sans doute des rayons du soleil – qui contraste avec la mélancolie du personnage. Son visage qu’on voit à peine suggère qu’elle est songeuse. Il ne s’agit pas d’une secrétaire, elle n’est pas une femme qui subit. J’imagine qu’elle décachette un bristol l’invitant à un cocktail. Elle est élégante, jolie, il y a un peu de Lauren Bacall chez elle. Cette image arrêtée en couleur m’évoque les films en noir et blanc de Raoul Walsh, Howard Hawks.
Elle raconte l’Amérique d’hier, les bureaux de plain-pied, ouverts sur la rue, où l’on voyait les employés de banque en manches de lustrine compter les billets d’un doigt revêtu de caoutchouc. Aujourd’hui, un délégué syndical s’opposerait à ce que les passants regardent le personnel travailler ! » 







Plongeon dans l'Amérique profonde

Prenez une carte et admirez : l’homme de l’art arpente la Virginie, la Pennsylvanie, l’Alabama, l’Arizona, le Nebraska, le Minnesota, l’Iowa... Ottinger aurait pu prendre l’avion. Il a préféré plonger dans l’Amérique profonde, au volant de sa Dodge de location, en écoutant Johnny Cash et ses airs de country. Rouler sur des autoroutes infinies entre des champs de maïs. Descendre dans de vieux hôtels de charme semblables à ceux qu’a peints Edward Hopper. « J’avais l’impression d’être dans un film », confie-t-il. Chicago sera l’étape la plus importante du périple. Là, se trouve le légendaire Nighthawks, un bar de Greenwich la nuit, 1942. L’oeuvre est montrée dans tous les livres, figure sur de nombreuses couvertures de polars et a inspiré une scène à Wim Wenders dans The End of Violence. Il la lui faut ! Or, son éminent confrère du Art Institute of Chicago l’attend avec une réticence évidente : « Je vais vous montrer pourquoi je ne vous prêterai pas notre Hopper », annonce-t-il en le conduisant dans les salles. Là, en effet, des visiteurs sont agglutinés devant une seule toile, celle que Didier Ottinger veut emprunter. Celui-ci se lance dans une plaidoirie enflammée : Nighthawks vient à Paris. Le butin du commissaire après trois expéditions ? 55 tableaux. On n’en a jamais rassemblé autant. Champion !
« Edward Hopper », du 10 octobre 2012 au 28 janvier 2013.










Hotel Room, 1931

Commenté par Tatiana de Rosnay, romancière

« En tant qu’écrivain, je m’intéresse aux lieux. Hopper est le peintre des lieux, des ambiances, des espaces clos. Tous ses tableaux racontent une histoire. De fait, j’avais pensé à cette toile pour la couverture de mon roman, la Mémoire des murs. Mon éditeur, à l’époque, m’a ri au nez ! Sans doute les droits de reproduction étaient-ils trop élevés... Je pourrais écrire une nouvelle entière à propos de cette chambre d’hôtel ! Au manteau, au chapeau, aux chaussures bien rangées, on devine que le personnage est une jeune femme très ordonnée. Que lit-elle ? Une lettre de rupture ? Elle a une expression triste, le corps figé, elle est tendue. Ma version la plus pessimiste : elle avait rendez-vous avec un homme qui n’est jamais venu. Il lui a glissé ce mot sous la porte. Remarquez l’absence de fenêtre, pourtant il y a de la lumière. Dans ses scènes d’intérieur, Hopper donne à voir la vie intime. On a l’impression d’être un voyeur, j’adore ça ! »





"Gas", 1940

Commenté par Sylvie Testud, comédienne et réalisatrice

« Je ressens le calme avant la tempête. Souvent, dans les peintures de Hopper, on se trouve entre deux temps. Le spectateur attend un événement joyeux ou terrible, qui va survenir. C’est en cela que l’artiste est cinématographique.
S’il avait placé une voiture, il aurait induit le contexte social du conducteur. Ici, non, la scène reste imprécise. D’un côté, elle est séduisante : le silence, le bord de la route, le voyage... ; de l’autre, elle est angoissante : le ciel était clair, il ne l’est plus, la nuit va tomber, les lumières vont s’éteindre, le rouge de l’herbe est presque incendié, l’homme est seul. Tout peut arriver ! Les distributeurs d’essence isolés dans la campagne m’ont toujours fascinée. La paix et puis soudain, une automobile surgit, une histoire commence... C’est drôle, dans le scénario que j’écris, quatre scènes se situent dans une station-service. Il faudra que je montre ce tableau au chef opérateur ! »








Hopper et “People In The Sun”, 1960

Commentés par Juliette Binoche, comédienne

« Il peint ce qu’il ne nous montre pas ou ce qu’il nous montre n’est pas peint. Hopper crée l’intime par la distance. Et aussi par l’absence. Mais on sait toujours où est la lumière, comme une assise vitale. Il attire dans sa simplicité, son évidence : la femme, l’homme, c’est moi ; le balai, le journal, le livre, c’est moi ; l’attente du fauteuil, l’espace, le désir, c’est encore moi. Son sens du dedans, du vide, le mouvement au lit, le mur entre deux angles, la nudité, les conventions sont tout aussi attirants que repoussants. C’est un monde où le bonheur n’a pas foi. Et pourtant, la chaleur des tons vibre dans les contrastes : le chatoyant, le velours, le feutre tapissent les murs et la chair.
Hopper plaît. Il est parfait. Il prend la photo. Il est graphique sans y perdre son âme. »








« Parce qu’il décrit la société américaine en mutation, ses voies ferrées, ses stations-service, ses rues désertées, Edward Hopper apparaît comme l’un des maîtres du réalisme. Il n’est pas que cela. Il peint des états d’âme. C’est cette ambiguïté entre une apparente neutralité et une subjectivité qui nous émeut. Des personnages mélancoliques dans l’attente de leur destin, un couple qui ne s’adresse pas la parole, un individu jeté dans la ville : le sentiment de solitude est accentué par une lumière implacable, un décor réduit à l’essentiel et un cadrage serré évoquant les mouvements d’une caméra. Lorsque Hopper ne parvenait pas à peindre, il allait au cinéma, rappelle Wim Wenders dans le catalogue de l’exposition. L’artiste cherchait dans les salles obscures une lumière pour sa toile blanche. » 






Edward Hopper 















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