Alfred Pacquement, le gardien du temple
Par, Valérie Duponchelle. Bertrand De Saint Vincent
INTERVIEW - Avant de quitter la direction de Beaubourg fin 2013, il sort de sa réserve habituelle pour évoquer sa vision du Musée national d'art moderne.
Le 3 décembre à Beaubourg, une soirée d'adieux à été organisée pour Alfred Pacquement qui quitte la direction du Musée national d'art moderne à la fin du mois. Glenn Lowry, directeur du MoMA (Museum of Modern Art), venu en personne de New York, a rendu hommage à «un grand directeur de musée, diplomate qui ne perd jamais son sang-froid et qui a réuni autour de lui l'une des plus belles équipes de conservateurs du monde».
Pourquoi une telle renommée de Beaubourg?
Alfred PACQUEMENT.- C'est le fruit d'une longue entente internationale. Il y a une famille des responsables des musées. Dans son discours, Glenn Lowry a fait allusion au groupe Bizot, assez secret, qui réunit au maximum 60 directeurs de musée en fonction dans le monde. Ils sont cooptés entre pairs et bâtissent l'avenir dans un climat d'amitié, de connivence intellectuelle et de sérieux. J'ai eu l'honneur d'être élu à la tête de ce groupe, avant de céder la place à Max Hollein, directeur du Städel à Francfort.
Diriger Beaubourg, c'est de la diplomatie pure?
Oui. Il s'agit de garder son indépendance vis-à-vis des autres intérêts. Je n'ai rien contre le marché de l'art. Je constate juste qu'il a pris un pouvoir important et que le musée doit garder une cloison étanche pour préserver ses choix, son mode de décision et de travail. Inversement, si un artiste a une forte cote, ce n'est pas une raison pour le déconsidérer. Le marché de l'art ne se trompe pas forcément, loin de là!
Votre caractère, tout de réserve protestante, vous a-t-il servi face aux wasps américains?
Je ne l'ai pas fabriqué (rires)! On me traite souvent de diplomate, avec une certaine ironie. Il est vrai que, par nature, je ne suis pas très expansif. Ma mère me disait que j'étais un «doux entêté». J'avançais, non pas en remuant les bras et en faisant du bruit, mais en creusant mon sillon là où je pense qu'il faut aller. Je suis quelqu'un qui aime les artistes, chose indispensable dans mon métier. Mais il faut aussi garder ses distances.
L'exposition dédiée à Jeff Koons en septembre 2014 n'est-elle pas une concession au marché?
Non. Jeff Koons est l'un des artistes qui a incontestablement marqué ces vingt-cinq dernières années. Le présenter dans un panorama complet me paraît justifié.
Votre réaction de haut fonctionnaire après les enchères folles de New York?
C'est un monde parallèle qui touche certains artistes. Il est dans l'excès, mais tout cela tient à une économie mondiale où le nombre d'acheteurs s'est amplifié. Cela change beaucoup de choses en termes de réalisation de projets. Une exposition consacrée à Bacon est bien plus difficile à faire aujourd'hui, car les valeurs d'assurance vont augmenter. Cela ne change rien à mon point de vue sur Bacon et sa place dans l'histoire de l'art.
Vos treize ans à la tête du Musée national d'art moderne coïncident avec le boom de l'art contemporain. Comment un musée résiste-t-il à pareille vague?
Au-delà des enchères records qui frappent le grand public, l'art contemporain n'est pas vraiment un phénomène de masse et reste dans un petit monde restreint. En termes d'acquisition, ce qui était très difficile devient quasi impossible. La réponse ne peut venir que de mesures fiscales incitatives ou de gestes généreux de personnes qui détiennent des œuvres.
L'une de vos blessures, avouées, est d'avoir vu vous échapper la dation Claude Berri…
Oui. C'est une histoire très cruelle. La dation est un processus complexe. Il est traumatisant de penser qu'à la dernière seconde, quelqu'un arrive pour proposer plus d'argent à ceux qui l'avaient initiée. Surtout quand, comme moi, on a très bien connu le collectionneur et qu'on savait son désir que certains artistes, dont Robert Ryman, demeurent un ensemble. C'est un effet pervers de la spéculation.
Les musées peuvent-ils encore lutter dans ces conditions?
Je garde l'espoir qu'il n'y a pas dans ce milieu que des personnes qui acquièrent des œuvres dans un but spéculatif direct. Certains considèrent qu'elles ont pour destination d'être montrées au public. On vient de le voir avec l'entrée au musée de chefs-d'œuvre de Matisse, de l'atelier d'André Breton, de la donation de 1200 dessins de Daniel et Florence Guerlain ou des dons de la famille Boissonnas. Maintenant, la concurrence internationale est très dure, avec de nouveaux acteurs qui ont de très gros moyens.
Beaubourg a multiplié les expositions dont certaines reflétaient votre goût minimaliste. Des regrets?
Je ne crois pas qu'on puisse dire que la programmation a reflété mon goût. C'est le produit d'une structure de décision. Que j'ai glissé dans cette programmation des œuvres auxquelles je crois profondément comme celles de Simon Hantaï ou Pierre Soulages, oui. Mais il y a des artistes que j'aime énormément, Nan Goldin ou Annette Messager, qui ne sont pas minimalistes. Parmi ceux que j'aurais aimé exposer, il y a Martin Barré et, parmi les étrangers, dans le même registre, Brice Marden. Ça serait aussi formidable de faire une exposition Richard Serra. Mais cela pose des problèmes techniques de taille.
Hantaï a eu droit au double d'espace de Lichtenstein. Un choix critiqué …
À partir du moment où c'était la première rétrospective Hantaï, il fallait le faire en permettant le déploiement de l'œuvre. L'exposition Lichtenstein était une opportunité intéressante à saisir dans un circuit d'expositions lancé entre l'Amérique et Londres. Elle a été un grand succès à Paris par son ajout d'œuvres sur papier et de sculptures, sa scénographie. Des gens m'ont dit qu'ils l'avaient préférée à sa sœur londonienne, plus grande au demeurant.
À l'heure du bilan, on vous reproche parfois de ne pas avoir assez défendu la peinture figurative…
Ça me surprend un peu. Ce qu'on pourrait à la rigueur me reprocher, c'est d'être plus du côté de la peinture que des autres disciplines de l'art. Mais de quelle figuration parle-t-on? Lucian Freund, que j'ai exposé, c'est vraiment incarné! Peut-être suis-je plus sensible à une figuration qu'une autre. Mais je ne me reconnais pas dans ce distinguo figuratif-abstrait qui appartient au passé. L'art contemporain est si diversifié, le resserrer à un genre est réducteur.
Comment définiriez-vous aujourd'hui le Centre Pompidou?
Le Centre a complètement transformé l'image des musées. Beaucoup s'en sont inspirés. Aujourd'hui, il garde une particularité dans la façon dont les expositions sont conçues, un style particulier. Par ailleurs, c'est à peu près la seule collection au monde qui offre un panorama aussi complet, capable d'alimenter un tel renouvellement.
Dans votre discours, vous avez rendu hommage au travail de Laurent Le Bon au Centre Pompidou-Metz. Une manière d'apaiser les esprits?
J'ai suivi d'extrêmement près le Centre Pompidou-Metz depuis sa naissance. À sa tête, Laurent Le Bon, qui est l'un des trois conservateurs que j'ai fait venir en 2000 à Beaubourg, y a fait un travail remarquable de programmation et des expositions formidables comme «1917» et, actuellement, celle dédiée à Hans Richter.
Qu'aimeriez-vous laisser comme empreinte?
J'aimerais suivre l'exemple de Dominique Bozo (président du Centre de 1991 à sa mort en 1993, NDLR), un grand homme de musée qui avait le sens aigu de la collection publique, qui m'a beaucoup marqué.
Avec votre retraite, vous pourrez vous consacrer à la lecture. Votre livre fétiche?
Henri Michaux comme poète. Sinon, ce serait entre Proust et Perec.
Et votre film?
Le Voyage en Italie de Rossellini, pour George Sanders. Pour l'Italie et le climat de ce film qui me touche particulièrement.
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