Art contemporain : Christie's affiche un record historique.
Béatrice de Rochebouet
Grâce à un festival de stars et notamment Warhol, la maison de vente franchit un nouveau cap en totalisant, le 14 novembre au soir, plus de 412 millions de dollars en 67 lots.
Statue of Liberty d'Andy Warhol, 1962. (Christie's).
Aujourd'hui, y a-t-il un meilleur rempart contre la crise que l'art contemporain? Ni les tempêtes, ni les secousses économiques, ni les turbulences politiques ne semblent ébranler ce marché devenu un formidable refuge. Des quatre coins du monde, tout l'argent volatile et plus encore, celui de l'Europe en pleine sinistrose, se concentre sur ce secteur où les plus values peuvent être considérables en peu d''années, à condition d'acheter les bonnes valeurs.
Continuant son ascension fulgurante, Andy Warhol, icône de l'Amérique florissante, a une fois de plus assuré le succès de la vente de Christie's, mercredi soir, à New York. La maison de François Pinault a franchi un nouveau record en totalisant 412,2 millions de dollars (92 % en lot et 93 % en valeur), juste un peu au dessus de l'estimation haute de 411,8 M$. Soit le plus haut résultat de son histoire pour une vente d'art contemporain (le plus important total, 491,5 M$, avait été réalisé en 2006 par une vacation d'art impressionniste et moderne). Christie's, l'emporte largement devant sa rivale Sotheby's, qui la veille avait, elle aussi, pourtant atteint un montant record de 375,1 M$, notamment grâce àl'enchère d'un Mark Rothko, une toile abstraite No. 1 (Royal rouge et bleu) du peintre américain adjugée pour la somme de 75,1 M$ (59 millions d'euros).
«C'est un nouveau palier symbolique, a constaté Brett Gorvy, directeur énergique au profil discret de ce département pour Christie's monde. De 200 millions de dollars de produit, nous sommes passés à plus du double en moins de six ans». Dans cette compétition impitoyable entre les deux maisons de ventes aux enchères, il faut être le meilleur. Et Christie's a déjà pris les devants en repensant dans sa globalité sa politique de développement, sous la houlette de Steven Murphy, nouveau président depuis un an et demi issu du groupe Rodale et d'Emmanuel de Chaunac, Parisien arrivé en 2008 dans la Grande Pomme.
«Nous misons beaucoup sur le e-commerce»
Untitled de 1981 de Jean-Michel Basquiat. (Christie's)
«Redéfinir la stratégie de croissance du groupe Christie's dans cette refonte mondiale du marché de l'art, tel est notre objectif, explique ce dernier. Dans un marché devenu global, les enchères avec des records aussi énormes soient-il ne sont que la partie visible de l'iceberg. À l'avenir, nous misons beaucoup sur le e-commerce. Notre accord avec la fondation Warhol pour laquelle nous avons lancé une première vente, lundi 12 novembre (17,1M$ de produit), suivies d'autres vacations pendant cinq ans sur un site internet spécialement conçu pour ce projet, est un premier pas. Mais nous croyons beaucoup aussi aux ventes privées, répondant à une clientèle de plus en plus discrète, un secteur qui devraient atteindre 50 % de notre chiffre d'affaires».
Preuve en est la hausse de demandes de «skyboxes» permettant d'enchérir mercredi soir, au dessus de la salle de Rockefeller Plaza, à l'abri des regards. Pendant deux heures et demi, ces riches amateurs de la Vieille Europe, de l'Amérique ou des pays émergents furent nombreux à se batailler en silence avecJeff Koons (33,6 M$ pour son miroir Tulips), Jean-Michel Basquiat (26,4 M$ pour Untitled de 1981) ou Richard Dieberkorn (13,5 M$ pour Ocean Park + 48) qui établissent de nouveaux records.
Avec son oeuvre mythique de la Statue de la Liberté, Warhol leur souffla la vedette. Déclinée en 24 vignettes, comme une planche contact de négatifs, cette encre sérigraphiée sur toile exécutée en 1962 à partir d'une carte postale, en prélude à la fameuse série Death and Disaster, s'envola à 43,7 M$, au delà de tous les pronostics qui la donnait autour de 35 M$. Identifiable par tous, celle-ci avait aussi la particularité, d'être contemplée avec des lunettes 3D, distribuées par Christie's dans les catalogues.
Cet effet-bombe se prolongea sur d'autres œuvres du roi du Pop Art. Une demie douzaine d'enchérisseurs se disputèrent l'image de 1966 de l'acteur Marlon Brando sur sa moto. Elle fut adjugée 23,7 M$. C'est une superbe plus value pour son vendeur, l'homme d'affaires américain, Donald L. Bryant Jr., qui avait acheté cette autre œuvre mythique pour à peine 5 M$, en 2003. Autre révélation de la soirée: Franz Kline, une des figures majeures de l'expressionnisme abstrait dans les années 1940-1950, qui pratiqua l'«action painting» comme son ami Willem de Kooning, en peignant de larges toiles en noir et blanc selon des schémas pré-établis.
Gerhard Richter, peintre vivant le plus cher
Provenant de la collection d'un financier américain, sa toile de 1957, Untitled, estimée 20 à 30 M$, s'envola à 40,4 M$, avec les frais. Bien moins élevé, le précédent record remonte à 2005, avec Crow Dancer, une toile de 1958 adjugée 6,4 M$. C'est une juste remontée pour ce peintre encore sous-coté qui a commencé à captiver le marché depuis un an, avec de nombreuses transactions en privé.
Le marché peut s'emporter pour des oeuvres qu'ils ne reverront plus mais il retrouve sa raison lorsqu'on lui propose, trop cher, des pièces même si elles sont signées par des stars. Sous le feu des projecteurs depuis un an, Gerhard Richter, 80 ans, en a fais les frais. Exposé de la Tate Modern, au Centre Pompidou, l'Allemand devenu le peintre vivant le plus cher, a fait une percée fulgurante, allant de records en records. Appartenant au guitariste britanniqueEric Clapton, Abstraktes Bild (809-4) s'est vendu, 34,2 M$ (26,4M€), en octobre dernier, chez Sotheby's à Londres, soit dix fois plus que le rocker ne l'avait payé, en 2001.
Mercredi soir, chez Christie's, Richter n'a pas réussi une aussi belle performance. Une de ses toiles, Prag 1883, datée de 1983 et estimée entre 9 et 12 millions de dollars, n'a pas trouvé preneur. Son vendeur, le milliardaire Steve Cohen, propriétaire de hedge founds, pensait faire lui aussi une belle plus value. Trop d'oeuvres du roi de la peinture abstraite lancées ces derniers mois sur le marché, ont freiné la hausse de sa cote. Mais ce n'est que partie remise. Cette saison newyorkaise a une fois de plus montré la suprématie de l'art contemporain, sur tous les autres domaines. Et notamment, l'art impressionniste et moderne, qui a affiché des résultats mitigés mais sauvés par quelques tableaux-phares comme le Vassily Kandinsky adjugé au prix record de 23 M$, chez Christie's.
Devant toutes les autres places, New York demeure un bastion imprenable pour l'art contemporain, dans sa course infernale au succès. Avec sa vente de ce jeudi, estimée au plus bas à plus de 82 M de dollars, Christie's devrait dépasser la barre-record des 500M de dollars de recettes, cet automne 2012.
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