dimanche 27 juillet 2014

Fermeture & Ouverture. Galeries. Paris




Fermeture de la galerie Yvon Lambert : l'art en mal de modèle




Par, Valérie Duponchelle

Depuis l'annonce, le 4 juillet, de sa fermeture, galeristes et experts s'interrogent sur l'évolution d'un secteur qui va à la vitesse d'Internet, sans repères. Témoignages exclusifs.

       ● Thaddaeus Ropac, galeriste de Salzbourg, a ouvert une galerie à Paris dès 1990, dans le Marais près du Musée Picasso, puis une vraie cité des arts à Pantin en 2012:

        «Une transition intelligente»

«J'ai appris avec surprise la fermeture de la galerie Yvon Lambert pour la fin de cette année. Quand, dans les années 1980, je venais à Paris pour découvrir les galeries, Yvon Lambert était vraiment une figure de référence, un personnage inspirant et charismatique pour lequel j'avais beaucoup de considération. Aujourd'hui, je suis particulièrement respectueux et admiratif de la transition qu'il a su faire entre son statut de galeriste et sa fondation en Avignon. C'est pour moi, la transition la plus sensible et intelligente qui permet non seulement d'inscrire une vision et sensibilité artistique dans une forme de continuité, mais également d'assurer une certaine pérennité à ses choix et ses engagements de galeriste et aussi de collectionneur. Une page se tourne mais un autre chapitre commence…»
         ● Max Hetzler, galeriste de référence à Berlin qui vient d'ouvrir un espace à Paris, près du Centre Pompidou:
          «La Galerie Yvon Lambert ne fermera jamais»
«À la foire de Bâle en juin, j'entendis pour la première fois la rumeur qu'Yvon Lambert fermerait sa galerie à la fin de l'année. Je ne pouvais pas le croire. Qui remplacera ce grand galeriste, qui commença sa carrière avec l'avant-garde des années 1960 et 1970, et qui développera son programme avec tant de succès? Nous idéalisions tous Ileana Sonnabend. Elle nous a introduits à Rauschenberg et Warhol dans sa galerie parisienne. Cy Twombly et Brice Marden, Buren et Toroni étaient chez Yvon. Il fait partie de la génération de galeristes européens qui ont une vision, ce qui est exemplaire. Dans les années 70, en tant que jeune galeriste, je commençais à découvrir Paris et ses sublimes musées. Je me retrouvais toujours dans la galerie d'Yvon.
»Bien que nous n'eussions pas beaucoup d'échanges, sa présence et son intégrité étaient palpables. Et d'autant plus admirables. Chaque exposition démontrait l'attachement que ses artistes avaient pour lui. Ce n'est que plus tard, à travers mon épouse, Samia Saouma, que je commençais à vraiment connaître Yvon. J'apprécie son humour sec et franc, qui va droit au but. Avec Yvon, je partage la passion des livres d'artistes. D'après ce que je comprends, il développera cette passion et continuera à publier des livres. La fondation Yvon Lambert restera la preuve de son talent, de sa générosité et de son intransigeance. Yvon Lambert n'arrête pas - il reste un «Vorbild» [un modèle NDLR]».
     ● Patricia Marshall, art advisor et curator du Museo Jumex, Mexico:
     «Une grande maladie qui s'appelle la mode»
«Tout bouge, tout change, c'est la vie. Chaque époque apporte ses changements. Ils sont toujours durs pour les Anciens, les purs et durs qui regardent l'art avec passion. Ils ont appris à regarder ce qui est le plus difficile, acquis de vastes connaissances sur l'histoire, vont dans les musées, savent prendre des risques sur des artistes engagés politiquement et sociologiquement, souvent rejetés par le marché (après un temps infini, ils seront enfin reconnus et applaudis!).
»Nous vivons désormais une course phénoménale où les œuvres et les artistes sont pris en otage comme des produits financiers, une course dont les maisons de ventes aux enchères sont les principaux agents. Nous vivons une grande maladie qui s'appelle la mode. La grande mode aujourd'hui, c'est d'être dans l'art, donc d'acheter pour être un “player”. Tout va vite, l'information, les changements, l'argent. Nous vivons une révolution qui s'appelle Internet et l'art en subit ses effets mondialisés en temps réel.
»Trop vite, trop de nouveaux pays, trop de fondations privées, trop de musées qui s'ouvrent... et pas assez d'art que le monde entier recherche! Les artistes sont pris en étau, traités comme des machines que l'on utilise à son maximum et que l'on jette, sans se rappeler leur nom sept ans plus tard. Hier, nous avions un Blackberry et nous étions heureux. Nous l'avons boudé pour l‘iPhone. Très rares sont ceux qui l'utilisent et qui regardent l'art pour l'art, qui ne veulent pas que des noms, qui ne sont pas esclaves de la mode.
»Cette dernière a toujours existé au fil des époques. Mais, grâce au règne d'Internet, la mode est en passe d'être le cheval gagnant. Avec le recul du temps, tout reprendra sa place, les bons resteront et les mauvais s'évaporeront en laissant quelques écrits. Maigre compensation d'avoir eu une existence et une gloire éphémères, que d'avoir parfois permis la naissance, via cet El Dorado redoutable de la finance, de grands collectionneurs qui laisseront une empreinte dans ces nouveaux musées et fondations».





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