Par, Nicolas Bourcier
Ici, c'est la mère du petit Davi, 2 ans, obligée de monter dans une ambulance de la mairie de Cabeceiras, sa petite ville de l'Etat du Piaui, au nord du Brésil, pour trouver, une cinquantaine de kilomètres plus loin, un médecin de garde pour son fils fiévreux et pris de convulsions.
Là, c'est Marco Ramiso, 35 ans, chirurgien, débarqué un soir à Santa Cruz, plus au sud, après trois heures de route, pour la visite hebdomadaire de ses patients, quelques instants avant une coupure de courant. Ou encore à Juazeiro do Piaui, à l'est, ses 5 000 âmes, sa dizaine de cascades et aucun généraliste à demeure.
Les histoires se suivent. Elles alimentent chaque jour un peu plus les médias etréseaux sociaux depuis que le gouvernement de Dilma Rousseff a fait part de son intention, le 6 mai, d'engager 6 000 médecins cubains dans les régions isolées et périphériques des grandes villes où les structures de santé sont déficientes. Déclenchant de vives réactions et étalant au grand jour les turpitudes d'un système à bout de souffle.
Dénoncé par le Conseil fédéral des médecins (CFM), le projet a été jugé"électoraliste" et "irresponsable". Dans une lettre à la présidente, l'organisation a dénoncé, lundi 20 mai, l'arrivée "sans critères de médecins étrangers qui va à l'encontre des normes légales et préfigure une médecine à risque pour la population brésilienne". Le président dudit Conseil, Roberto Luiz d'Avila, arguant que les problèmes liés à "l'aide et aux secours ne se limitent pas au manque de docteurs, mais à une gestion de l'ensemble".
Sentant le vent de la polémique, Brasilia a fini par ne plus mentionner Cuba, préférant mettre en avant l'urgence de la situation et l'opportunité d'attirer des praticiens... espagnols ou portugais. "Nous sommes en manque de médecins", a expliqué Alexandre Padilha, ministre de la santé. Et d'ajouter : "En Espagne, il y a 20 000 professionnels de ce secteur à la recherche d'un emploi. Nous n'allons pas laisser passer cette opportunité."
L'aveu est de taille. Septième économie du monde, en situation de quasi-plein-emploi, le Brésil occupe la 72e place en termes de dépenses de santé par individu. Pour 1 000 habitants, le pays dispose de 1,8 praticien, moins que le Royaume-Uni(2,7), l'Argentine (3,2), le Portugal ou l'Espagne (4). A cela s'ajoute une inégalité régionale criante d'accès aux soins. Dans le Nord et le Nordeste, certains Etats oscillent entre 0,6 et 0,8. Le taux des médecins est de trois à quatre fois plus élevé dans le Sud et le Sud-Est. Six fois plus à Brasilia (4,1). Avec un médecin pour 232 habitants, la ville de Sao Paulo bat les records nord-américains ou allemands.
"MOUVEMENT PERVERS"
Selon l'Organisation mondiale de la santé, l'investissement public est de 317 dollars (245 euros) par an et par individu. Une somme inférieure de 40% à la moyenne mondiale (517 dollars). Or, deux tentatives visant à augmenter les dépenses ont échoué au Congrès ces dernières années, les députés de l'opposition ayant refusé la création d'un nouvel impôt. De son côté, le gouvernement a mis son veto à une quinzaine de projets de réglementation, approuvés par le Sénat à la fin de 2011.
"Le Brésil verse 2 reais (0,75 euro) par habitant et par jour pour l'ensemble des besoins, qui vont de la lutte contre les épidémies de dengue à des actes de haute chirurgie, c'est peu, souligne Nacime Salomao Mansur, de l'Association pauliste pour le développement de la médecine. Les dépenses de santé représentent 8% du PIB, mais 4,5% proviennent du privé, soit plus qu'en Europe. A cela s'ajoute une stagnation des investissements fédéraux qui pourrait avoir un effet catastrophique." Un danger que dénonce Mario Scheffer, professeur à la faculté de médecine de Sao Paulo, dans un long entretien à l'Estado de Sao Paulo. Selon lui, le pays est engagé dans "un mouvement pervers : souvent, les médecins ayant reçu une faible formation finissent par s'occuper des populations les plus nécessiteuses. C'est une médecine pauvre pour les pauvres".
Pour le ministre de la santé, "faire venir des médecins étrangers qualifiés ne doit pas être un tabou ", rappelant que 147 000 places avaient été créées par les autorités, entre 2003 et 2011, et que seules 119 000 ont été occupées à ce jour."La politique salariale et les plans de carrière régionaux n'ont pas été suffisants",a-t-il admis. Pour compléter ce sombre tableau, M. Padilha a rappelé qu'à peine 1% des médecins brésiliens se sont formés à l'étranger, contre 40% des professionnels anglais.
Selon les chiffres officiels, le Brésil dispose de 2 399 médecins originaires de 53 pays, qui, à l'image de ses propres praticiens, se concentrent au coeur des grandes villes et dans le sud du pays. La preuve, selon le CFM, que le pays n'a pas besoin d'une politique d'importation de médecins. Mais d'augmentation salariale de 10 % dans ces zones isolées, comme il le réclame.
A Brasilia, on annonce avoir bouclé les derniers détails d'un accord pour l'envoi de médecins espagnols dans le Nord et le Nordeste. La durée serait de trois ans.
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